Évincer des locataires pour offrir des logements Airbnb devrait être interdit, estime Québec solidaire

Jean-François Raymond devra quitter son logement de la rue Ontario le 1er juillet parce que le nouveau propriétaire de l’immeuble veut le louer sur Airbnb.
Jacques Nadeau Le Devoir Jean-François Raymond devra quitter son logement de la rue Ontario le 1er juillet parce que le nouveau propriétaire de l’immeuble veut le louer sur Airbnb.

Pour éviter qu’encore davantage de personnes soient mises à la rue, Québec solidaire demande au gouvernement de François Legault d’interdire partout au Québec l’éviction de locataires pour la conversion de logements en lieux d’hébergement touristique.

« Pour certaines personnes, les Airbnb, ce sont de belles photos de voyage. Mais pour bien du monde en ce moment à Montréal, les Airbnb, c’est un cauchemar », a expliqué le co-porte-parole solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, à l’occasion d’un point de presse tenu mercredi à la place Simon-Valois, dans Hochelaga-Maisonneuve.

À ses côtés, Jean-François Raymond et Sylvain Roy ont témoigné de l’anxiété qu’ils subissent depuis qu’ils ont reçu un avis d’éviction de leur propriétaire. M. Raymond, 58 ans, devra quitter son logement le 1er juillet prochain parce que le nouveau propriétaire de l’immeuble de la rue Ontario qu’il habite depuis 22 ans veut rendre ses logements disponibles sur la plateforme Airbnb. Son voisin devra, quant à lui, quitter le logement qu’il occupe depuis 54 ans.

« On vit un stress effrayant, des inquiétudes à savoir où on va aller s’installer, a déploré celui qui craint de ne pas pouvoir trouver de logement abordable. On n’aura plus les moyens de vivre sur l’île. On évince des locataires pour installer des touristes alors qu’il y a tant d’hôtels qui ont de la misère à se remplir. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Gabriel Nadeau-Dubois a tenu un point de presse en compagnie de Jean-François Raymond et de Sylvain Roy, mercredi, à la place Simon-Valois.

Sylvain Roy, lui, habite depuis plus de 25 ans un édifice du Vieux-Montréal acheté par une entreprise en décembre dernier. À l’instar des 15 autres locataires de l’endroit, il a reçu un avis d’éviction en raison d’un changement d’affectation de l’immeuble pour un usage d’hôtel. Seuls trois locataires ont décidé de défendre leurs droits devant le Tribunal administratif du logement. « Je veux absolument rester dans mon logement. »

« Le pire, c’est qu’en ce moment, tout ça est parfaitement légal au Québec. La loi permet aux propriétaires de faire des évictions pour convertir leurs logements en Airbnb permanents pour des touristes quand ceux-ci sont situés dans des zones non réglementées, a rappelé Gabriel Nadeau-Dubois. Jeter quelqu’un à la rue pour faire du Airbnb pour des touristes, ça devrait être interdit, point final. »

Il estime qu’en pleine crise du logement, la Coalition avenir Québec devrait interdire cette pratique. « C’est facile à faire. Ça ne coûte absolument rien au gouvernement. On peut faire ça très vite. On parle d’un amendement très simple au Code civil du Québec pour retirer la conversion en hébergement touristique comme motif d’éviction prévu par la loi », a-t-il dit.

Hausse des évictions

 

Organisatrice communautaire pour Entraide logement et le Comité BAILS, dans Hochelaga-Maisonneuve, Annie Lapalme constate une « hausse fulgurante » des évictions à Montréal. Elle dit accompagner une trentaine de locataires du quartier qui, depuis la mi-décembre, sont menacés d’éviction. « C’est seulement la pointe de l’iceberg. On sait très bien que la majorité des locataires n’ont pas accès à nos ressources parce qu’ils ne les connaissent pas. »

Elle soutient qu’avec les Airbnb de ce monde, les propriétaires peuvent toucher en trois ou quatre jours un montant équivalent à un mois de loyer. « Tout ça est favorisé par une absence de contrôle et d’un registre des loyers. Ces évictions sont d’une violence inouïe. Le gouvernement Legault le sait. […] Il doit cesser de protéger les investisseurs. »

Gabriel Nadeau-Dubois a cité une étude récente réalisée par l’Université McMaster qui fait état de la disparition de 116 000 logements abordables en cinq ans au Québec, dont 90 000 uniquement à Montréal. Quant aux logements Airbnb, qui ne sont autorisés que dans certaines zones à Montréal, leur contrôle est déficient, estime-t-il.

« Des compagnies à numéro qui achètent des blocs, qui mettent le monde à la porte pour transformer les appartements en Airbnb permanents pour des touristes, ça brise des vies, c’est mauvais pour les quartiers et ça ne devrait pas être permis au Québec en 2023 », a-t-il lancé.

Le gouvernement en réflexion

 

« Une simple modification au Code civil du Québec permettrait d’interdire les évictions pour des Airbnb. Ça fait des semaines que je le réclame et je suis content qu’on s’attaque à ce problème qui a déjà fait trop de victimes dans MHM », a écrit sur Twitter le maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve (MHM), Pierre Lessard-Blais.

Interpellé lors de la séance du conseil d’arrondissement lundi soir, M. Lessard-Blais avait reconnu que ce type d’évictions était un « drame ». Il avait cependant soutenu que la Ville de Montréal était contrainte par la loi d’autoriser les Airbnb dans certaines zones, comme celle de la rue Ontario, afin de pouvoir les interdire dans le reste de l’arrondissement.

Au cabinet du maire, on indique que la Ville surveille de près l’entrée en vigueur, le 25 mars prochain, de la nouvelle loi qui autorisera les Québécois à louer leur résidence principale sur des plateformes comme Airbnb pour une période maximale de 30 jours. Ces nouvelles dispositions légales pourraient donner des outils aux municipalités afin de mieux encadrer l’hébergement touristique sur leur territoire, suggère-t-on.

Au cabinet de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, on admet que la situation peut être difficile pour les locataires et « qu’il peut parfois y avoir de l’abus de la part de propriétaires qui souhaitent transformer leur immeuble ».

Pour l’instant, toutefois, le gouvernement ne semble pas prêt à acquiescer à la demande de Québec solidaire. « La députée de Labelle et adjointe parlementaire [de Mme Duranceau], Chantale Jeannotte, s’est fait confier le mandat de rencontrer divers groupes et experts ayant un intérêt pour le marché locatif afin d’effectuer des recommandations qui permettront d’apporter des solutions aux enjeux du logement locatif dans le contexte actuel », a répondu l’attaché de presse de la ministre, Philippe Couture.

« Les enjeux reliés à l’hébergement touristique faisaient déjà partie de cette réflexion », a-t-il précisé.

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