Airbnb bientôt permis dans presque toutes les résidences principales du Québec

À compter du 25 mars prochain, presque tous les Québécois pourront louer leur maison à des touristes en vertu d’une nouvelle loi qui passe mieux que prévu dans le monde municipal.

On se souviendra qu’à l’automne 2020, les municipalités québécoises étaient aux abois sur la question. Avec le projet de loi 67, le gouvernement Legault se préparait à autoriser tous les habitants du Québec à louer leur résidence principale sur des plateformes comme Airbnb pour une période maximale de 30 jours.

Le texte de loi était « une atteinte aux compétences municipales en aménagement du territoire », dont les règlements de zonage, dénonçait à l’époque la présidente de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Suzanne Roy, aujourd’hui ministre au sein du gouvernement Legault. Afin de calmer le jeu, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, avait permis aux villes d’adopter un règlement limitant ce droit à certaines zones. Elles avaient jusqu’au 25 mars 2023 pour agir.

Or, à l’approche de ladite date, force est de constater que seule une minorité des 1130 municipalités du Québec l’ont fait.

Ce dont s’étonnent les lobbies municipaux qui ont bataillé pour obtenir ce droit. « Je le sais, ce n’est pas beaucoup », notait en entrevue le maire de Saint-Donat, Joé Deslauriers, qui pilote le dossier à l’UMQ. « Si les villes ne font rien avant le 25 mars, [la location touristique] des résidences principales, c’est autorisé de facto. » Préoccupée par la situation, l’association a d’ailleurs multiplié les communications ces derniers mois afin de rappeler l’échéance à ses membres.

« Il y a peut-être des municipalités qui n’ont jamais eu de problème avec la location à court terme », avance quant à lui le président de la Fédération québécoise des municipalités, Jacques Demers.

Impossible de savoir exactement combien de villes ont légiféré en la matière. Le ministère des Affaires municipales ne comptabilise pas de données sur le sujet ; les regroupements municipaux non plus.

Vérification faite, plusieurs grandes villes — Montréal, Québec, Gatineau, Lévis — n’ont pas adopté de règlement en ce sens. Au fil de ses recherches, Le Devoir a toutefois recensé quelques lieux, presque tous dans des secteurs touristiques : Orford, Sainte-Catherine-de-Hatley, Bromont, Saint-Ferréol-les-Neiges, Beaupré, Ogden, Magog…

Maintenir le statu quo

À Magog, « ça répondait à une demande des citoyens », soutient la mairesse, Nathalie Pelletier. « On est une ville où l’hébergement touristique est quand même assez alléchant, avec des bords de lac et tout ça. »

Avant même que le gouvernement légifère, la Ville avait limité à certaines zones la possibilité de recourir à Airbnb et aux autres plateformes. Le nouveau règlement visait donc à ce que la nouvelle loi n’invalide pas l’ancien.

Comme l’exige la procédure, la Ville a soumis son règlement à un registre en janvier. Or, les citoyens ne sont pas venus en assez grand nombre pour justifier la tenue d’un référendum. « Il y a seulement une zone — sur les 492 qu’on a — qui a voulu avoir le droit de faire [de l’hébergement touristique]. Ailleurs, c’est le statu quo », explique la mairesse.

Cet exercice contre-intuitif a suscité beaucoup de confusion au sein de la population, note-t-elle. « Habituellement, les gens se mobilisent, parce qu’ils ne veulent pas de changement. Le registre, d’habitude, tu viens le signer parce que tu es contre [un projet]. […] Ça a été tout un défi de communication. »

La municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges, à la base du mont Sainte-Anne, a elle aussi adopté un règlement en début d’année. « La location à court terme, c’est un problème que l’on connaît depuis longtemps », indique son directeur général, François Drouin. « À partir du moment où les voisins changent toutes les fins de semaine ou régulièrement, il y a des désagréments. Puis le voisin qui a causé le trouble, on en entend parler le lundi, mais il est parti le dimanche soir. »

Le règlement de Saint-Ferréol-les-Neiges ne permet la location d’une résidence qu’à certains endroits réputés plus touristiques. « Dans les secteurs où c’était déjà autorisé, on l’a maintenu. Par contre, c’est interdit ailleurs sur le territoire. »

Une décision qui n’a pas fait que des heureux. Hans Moreau, qui réside dans la municipalité depuis près de 15 ans, dit être tombé en bas de sa chaise quand il a découvert que le nouveau règlement allait le priver d’une source de revenus potentielle. « Ça fait longtemps que je travaille sur ma maison et c’était dans mes plans de la louer. […] C’est juste un revenu d’appoint qui servirait à payer des vacances », explique le père de cinq enfants.

M. Moreau reproche à la municipalité de ne pas avoir bien informé la population de la tenue de la consultation sur le règlement. « À Magog, il y a eu de beaux communiqués très clairs. Nous, il n’y avait aucune communication dans le journal. C’était pourtant un règlement important qui touchait plein de monde » , déplore-t-il. Il se dit victime d’une « injustice sociale ». « Ça fait en sorte que des gens comme moi n’auront pas accès à de petits revenus d’appoint. Mais aussi, ça in­fluen­ce la valeur de ma maison. »

Le directeur de la Ville se défend en disant que les gens qui font de l’hébergement touristique commercial se plaignent eux aussi de la concurrence issue de la location à court terme de résidences principales.

Quant à savoir si la population était bien en mesure de comprendre le processus, M. Drouin relativise les choses. « C’est certain que toutes les modifications réglementaires qui touchent les usages sur le territoire, c’est compliqué. Puis ce n’est pas nécessairement quelque chose qui est simple pour les citoyens… Mais ce n’est pas unique à cette situation-là. »

Tout ça pour ça

Or, si pour M. Moreau l’entrée en vigueur de la loi a un impact important, plusieurs observateurs estiment qu’il ne se passera pas grand-chose le 25 mars. Pourquoi ? Parce que la pression exercée par les Airbnb de ce monde provient surtout des résidences secondaires, pas des résidences principales.

Dans une ville comme Saint-Donat, par exemple, les résidences principales comptent pour une infime partie du parc immobilier, souligne son maire. La Ville a d’ailleurs profité de l’approche de l’échéancier du 25 mars 2023 pour consulter sa population sur l’encadrement de la location à court terme en général, y compris celle des chalets et des autres résidences touristiques.

Guillaume Lavoie, expert-conseil spécialisé dans ce qu’on appelle l’« économie du partage », a dirigé le groupe de travail qui avait recommandé au gouvernement Legault de légiférer sur la question. Trois ans plus tard, il voit dans la réaction timide des municipalités une preuve que cette réforme avait probablement sa raison d’être. « On pourrait présumer que la réglementation de Québec vient régler un paquet de problèmes », affirme-t-il.

« La raison pour laquelle le gouvernement a procédé comme ça, c’est qu’il n’y a pas de distinction entre résidence principale et secondaire dans le zonage municipal. » Et la distinction est cruciale, dit-il, puisque, contrairement aux autres, les gens qui louent parfois leur propre toit ne réduisent pas l’offre de logements.

« Le gros problème, ce sont les résidences secondaires, quand les gens les utilisent — en particulier dans un cadre urbain — pour faire de la location à court terme. Là, les villes ont le droit de dire si elles le veulent ou pas. »

Une version précédente de ce texte, qui identifiait la mairesse de Magog par un autre nom, a été modifiée.
 

Les exigences de la location touristique d’une résidence principale

Vérifier auprès de sa municipalité que le zonage et les règlements locaux la permettent. S’enregistrer auprès du ministère québécois du Tourisme, moyennant 50 $. Produire une preuve d’assurance en responsabilité civile d’au moins deux millions de dollars.

Après deux infractions aux règlements municipaux (sur les nuisances ou la salubrité, par exemple) au cours d’une même année, la Ville peut demander et obtenir du ministère la suspension de votre enregistrement.

Source : Tourisme Québec



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