L’art de la promesse possible

Le premier ministre du Québec, François Legault, répondant aux questions des journalistes sur la maternelle 4 ans, mercredi.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le premier ministre du Québec, François Legault, répondant aux questions des journalistes sur la maternelle 4 ans, mercredi.

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, ne voulait pas s’y faire prendre de nouveau. Il a fait 33 promesses durant la campagne électorale de 2022, comparativement à 251 quatre ans plus tôt, dont la promesse phare de « déplo[yer] un réseau universel de maternelles accessibles à tous les enfants de 4 ans ».

« Au futur premier ministre, pour laquelle de vos promesses électorales êtes-vous prêt à prendre l’engagement de démissionner de votre poste si vous ne la respectez pas ? » avait demandé le journaliste Patrice Roy lors du Grand débat des chefs 2018 — après avoir enfilé ses lunettes et balayé du regard la « très bonne question » de l’électeur Jacques Audette, qui avait réussi à trouver son chemin jusque dans la Maison de Radio-Canada.

« Je suis content que vous posiez la question parce que, pour moi, je ferais de la politique seulement pour la maternelle 4 ans, parce qu’on a besoin d’agir tôt pour les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage, des troubles d’attention, de la dysphasie, de la dyslexie, de l’autisme », a répondu M. Legault lorsque son tour de parole est venu. « Donc, on va dépister avant 4 ans, puis on va commencer à donner des services dans les maternelles 4 ans. Il n’y a aucun des autres partis qui peut garantir que tous les enfants de 4 ans vont avoir des services. La CAQ va le faire », a-t-il poursuivi tout en pointant ses adversaires politiques autour de lui.

— Vous mettriez votre siège en jeu ?

— Oui, a-t-il confirmé.

Le premier ministre François Legault a admis cette semaine que l’État québécois n’arriverait pas à créer toutes les classes de maternelle voulues d’ici la fin de l’année, comme il le promettait la main sur le coeur en 2018, et ce, en raison essentiellement de la pénurie de locaux et de personnel dans le réseau de l’éducation. « À l’impossible, nul n’est tenu », a-t-il souligné, citant le conseil de sa conjointe, Isabelle Brais.

Le professeur de science politique à l’Université Laval Thierry Giasson a vu par écran interposé un homme politique « contri ». « Je n’ai pas souvent entendu des politiciens employer cette expression, “À l’impossible, nul n’est tenu” », fait-il remarquer dans un échange avec Le Devoir. « Monsieur Legault a frappé avant d’être frappé. […] Il a pu cadrer la réalité, le contexte, fournir des explications et déterminer la suite des choses. Là, le cadrage qui est présenté est : le contexte ne nous permet pas de livrer la promesse », explique le spécialiste de la communication politique. « D’un point de vue communicationnel, c’est assez impeccable comme stratégie », ajoute-t-il, allant jusqu’à décrire les membres de l’équipe de communication de M. Legault de « maîtres du cadrage ».

Certains membres de la CAQ consultés par Le Devoir craignent toutefois d’en entendre parler pendant des années de la part des partis d’opposition.

« Les obstacles auxquels se heurte le pouvoir exécutif peuvent […] faire l’objet d’une forme d’instrumentalisation, permettant d’“éviter le blâme” tout en justifiant l’abandon de la promesse », écrivent les chercheurs européens Isabelle Guinaudeau et Simon Persico dans un article scientifique, tout en soulignant que les promesses électorales « suscitent des espoirs qui sont à la hauteur des déceptions qui sanctionnent [celles] non tenues ».

François Legault a écrit une nouvelle page — « ne pas tenir une promesse, offrir des explications » — dans le « grand livre » sur l’exercice du pouvoir d’un premier ministre « nouveau genre », qu’il pourra insérer après celle commençant par « commettre une erreur, présenter des excuses », indique en souriant son ex-conseiller politique Pascal Mailhot.

Mais la CAQ promettait-elle l’impossible en toute connaissance de cause lorsqu’elle disait pouvoir offrir la maternelle 4 ans partout au Québec d’ici cinq ans ? Non, répond-il. « On y croyait », assure le responsable de la rédaction de la plateforme électorale caquiste (2018) puis directeur de la planification stratégique au cabinet du premier ministre (2018-2022). « Avec les moyens limités d’une deuxième opposition », précise-t-il.

Promesse inutilement détaillée 

Il est « périlleux » pour un parti politique d’opposition de mettre en avant « des engagements aussi complexes », indique M. Mailhot, qui occupe désormais le poste de vice-président à l’agence Tact.

L’équipe de François Legault a pris la pleine mesure des défis posés par le manque d’espace et de personnel dans les écoles seulement après avoir pris les commandes de l’État. Les fonctionnaires ont sensibilisé le gouvernement au problème d’espace, puis au problème de personnel… et la COVID-19 a frappé. Et la CAQ s’est retrouvée piégée.

Curieusement, la CAQ semble avoir offert plus que ce que les électeurs demandaient en s’engageant à aménager plus de 2500 classes de maternelle 4 ans aux quatre coins du Québec.

La résistance a été forte. Les hauts cris poussés par les autres partis politiques, à commencer par le Parti québécois, qui craignait un démantèlement du réseau de centres de la petite enfance (CPE) au profit des maternelles 4 ans, n’ont pas aidé.

Pour le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, le projet des maternelles 4 ans n’est ni plus ni moins qu’une « obsession du premier ministre ». « Un projet mal ficelé, irréaliste et dont l’échec était prévisible », a-t-il gazouillé, piquant au vif la garde rapprochée du chef du gouvernement.

« S’opposer aux maternelles 4 ans pour les enfants du Québec comme le font les oppositions, c’est honteux. Surtout pour des soi-disant progressistes. Se réjouir des difficultés rencontrées dans leur implantation, c’est encore pire », a répondu le conseiller spécial Stéphane Gobeil derrière son avatar de tigre blanc.

Cela dit, les parents déçus de la lenteur du chantier des maternelles 4 ans pourront se consoler en pensant aux « quelques intellectuels », selon M. Legault, choqués par l’abandon pur et simple de la promesse de la CAQ de dépoussiérer le mode de scrutin.

La population peut-elle tout de même croire les promesses des politiciens ? « Oui, parce que les politiciens livrent leurs promesses. Toutes les études le montrent », répond du tac au tac le professeur Thierry Giasson. D’ailleurs, le gouvernement caquiste avait réalisé 80 % de ses 251 promesses en tout ou en partie, selon le Polimètre Legault, qui avait été mis au point par le Centre d’analyse des politiques publiques de l’Université Laval afin de suivre l’évolution des promesses électorales faites par la CAQ. « La parole politique veut dire quelque chose. Si tu ne livres pas tes promesses, tu ne peux pas être réélu. Donc il y a une obsession de la livraison », ajoute M. Giasson.

Parlez-en à Pascal Mailhot.

Bien plus de 33 promesses seront inscrites au Polimètre 2022-2026

L’équipe du Polimètre du Québec s’emploie actuellement à dresser l’inventaire des promesses faites par la CAQ avant le scrutin du 3 octobre dernier. Chose certaine, il y en a bien plus que les 33 promesses évoquées par l’équipe de François Legault, a tenu à préciser le scientifique de données à Université Laval Alexandre Fortier-Chouinard après la publication de l’article.



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