Cri d’alarme en transport adapté

Plus d’une centaine d’organismes voués aux personnes en situation de handicap unissent leurs voix pour que le gouvernement s’attaque à l’effritement des services de transport adapté qui sévit depuis des années, dans l’angle mort des priorités.
Déplacements annulés, plages horaires réduites, manque de véhicules adaptés… « Le transport adapté est dysfonctionnel dans de nombreuses localités du Québec », avance le regroupement dans un avis transmis vendredi au ministre des Finances Eric Girard.
« L’État a le devoir de veiller au bon fonctionnement de ce service essentiel », poursuivent les auteurs de cet avis envoyé dans le cadre des consultations prébudgétaires.
Christian Venne, 61 ans, réside à 15 kilomètres de Joliette. Malgré son handicap visuel, il peut se rendre au gym et siéger à différents comités grâce au transport adapté. Mais le service est de moins en moins fiable, déplore-t-il. « Il manque d’employés, alors on a de la misère, dit-il. Cette semaine, j’avais deux transports deux jours différents. Pour le premier, il y a eu une erreur dans la place où ils sont venus me chercher. Le deuxième, lui, a appelé pour me dire qu’il allait être en retard. »
« Il y a des régions où il n’y a pas de transport adapté la fin de semaine », mentionne Antoine Perreault, le directeur du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec, l’un des organismes qui ont entrepris la démarche aux Finances. « Il y en a où il n’y a pas de services le soir. »
D’emblée, certains utilisateurs se font « refuser » des transports pour des déplacements jugés non essentiels, pour les loisirs, par exemple, poursuit-il. « Mais ce qu’on décrit comme des loisirs, ça inclut les services d’organismes communautaires offerts pour briser l’isolement ! »
Dans l’angle mort
« Les utilisateurs ont été patients, mais là, ils perdent espoir », déplore la présidente de l’Alliance des regroupements des usagers du transport adapté du Québec, Rosanne Couture. Avec d’autres organismes, elle a tenté de se faire entendre durant la campagne électorale. En vain. « Ça n’a rien donné […] Le sujet est complètement effacé des préoccupations, et pendant ce temps-là, les services continuent à se dégrader. »
Déjà précaires, les services de transport adapté se sont dégradés dans la foulée de la pandémie et de la réforme de l’industrie du taxi, quand des milliers de chauffeurs ont quitté le métier. Avant la réforme de 2019, près de 70 % des déplacements en transport adapté se faisaient par taxi.
Des compagnies de taxi comptent d’ailleurs parmi les signataires du mémoire transmis au ministre Girard. Le document reproche à l’ancien ministre des Transports François Bonnardel de ne pas avoir prévu de solution de rechange pour le transport adapté quand il a décidé de « moderniser » l’industrie du taxi.
Des données et un groupe de travail
Contrairement à la plupart des organismes qui interpellent le ministre des Finances, le réseau du transport adapté ne demande pas d’argent en premier lieu.
Il souhaite plutôt la mise sur pied d’un groupe de travail doté d’« un mandat permettant de gérer la crise ». Ce groupe de travail évaluerait ensuite si les subventions actuelles sont suffisantes pour garantir le service dans toutes les régions.
Le regroupement réclame en outre que le ministère des Transports recommence à produire des données sur les services offerts et leur utilisation. La publication de statistiques a cessé en 2013, déplore-t-il.
À défaut d’en avoir, Le Devoir a récolté des témoignages provenant d’un peu partout au Québec qui montrent des écarts importants d’une région à l’autre.
À Thetford Mines, par exemple, le responsable du service et conseiller municipal, Michel Verreault, souligne que « ça va très bien ». « On répond à toutes les demandes sept jours par semaine », souligne-t-il. L’été dernier, une décision du service de Thetford avait fait planer des inquiétudes sur les services en périphérie. Or, une entente a été conclue, affirme-t-il. « Les 18 autres villes vont avoir leur propre service. Elles travaillent sur un plan, et jusqu’au 30 juin, on les dessert. »
À Mont-Tremblant, la directrice de l’Association Clair Soleil, Sandra Cadieux, répond d’abord que les gens qui fréquentent son organisme ont un très bon service. « Nous, c’est super, je n’ai rien de négatif. » Mais lorsque questionnée sur les services de soir et de fin de semaine, elle se ravise. « Avant, il y en avait le soir les fins de semaine. Il y a cinq ans ou plus. […] Ça a été coupé. C’est dommage, parce que ces gens-là ne sortent pas juste la semaine. »
En Beauce, la responsable d’un organisme similaire souligne que « c’est très difficile ». « Ils manquent de véhicules. Le plus gros problème, c’est de trouver des chauffeurs », résume Chantale Larivière, de l’Association des personnes handicapées de la Chaudière. Lorsqu’elle organise des activités, « les gens vont arriver plus tard, quitter plus tôt ». Quant au transport en soirée, il n’est plus offert. « Si je veux organiser un souper, ce n’est pas possible, il faut prendre une entente avec la famille. Mais ce n’est pas tout le monde qui a des familles qui peuvent assurer. Et là, on vient d’apprendre qu’il n’y aura plus de service le dimanche ».