L’Assemblée nationale condamne la censure d’un livre d’Élise Gravel aux États-Unis
Les députés québécois ont condamné jeudi la censure qui frappe le livre jeunesse Pink, Blue and You !, de l’autrice Élise Gravel, dans certaines écoles américaines parce qu’il expose aux lecteurs les stéréotypes de genre. La Québécoise s’est dite honorée par cette vague de solidarité.
La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a déposé une motion stipulant que ce genre de censure « n’a pas sa place ni dans l’art ni dans la démocratie ». La motion a été adoptée par les élus de l’Assemblée nationale, qui ont aussi reconnu que cette oeuvre unique de l’autrice et illustratrice permettait de mieux faire comprendre l’inclusion, la tolérance et le respect de la diversité des orientations sexuelles et de genre.
Partout dans le monde et au Canada, il y a une frange de la population qui est en train de se mobiliser contre les droits des personnes LGBTQ+ et qui parle très fort et qui est très, très mobilisée et très violente dans ses propos
Mme Gravel a dit avoir reçu dans les dernières semaines plusieurs messages d’enseignants et de bibliothécaires américains déplorant de ne pas pouvoir faire lire son livre à leurs élèves. Paru en 2022, l’ouvrage déconstruit certains stéréotypes en posant des questions telles que « Est-ce que tout le monde devrait avoir le droit de pleurer ? » ou « Qu’est-ce que ça veut dire au juste être une fille ou un garçon ? ».
Or, l’État de la Floride a adopté l’an dernier une loi interdisant aux enseignants d’aborder les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre avec leurs élèves de la maternelle à la troisième année. Le livre Pink, Blue and You ! figure donc parmi ceux qui ont été bannis en vertu de cette loi.
Après les applaudissements des élus à l’adoption de la motion, le député solidaire Alexandre Leduc a demandé qu’une copie soit envoyée au gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, et à l’ambassadeur américain au Canada. La maison d’édition La courte échelle, qui a publié le livre en français, le consul des États-Unis à Montréal ainsi que celui à Québec en recevront aussi une.
Une vague de solidarité
En entrevue avec Le Devoir, Élise Gravel a dit être honorée de voir autant de solidarité de la part de Québécois qui dénoncent le bannissement de son livre. Pink, Blue and You ! (Le rose, le bleu et toi ! au Québec) a d’ailleurs connu un regain de popularité en raison de cet épisode. « C’est ce qui est ironique, dit-elle. Les mouvements de censure donnent toujours plus de visibilité sans le vouloir au produit qu’ils veulent censurer. »
Elle craint toutefois que cela s’accompagne d’un déferlement de messages haineux sur les réseaux sociaux, semblable à celui vu lors de la sortie du livre. « Ce n’était pas beau lors de la parution », relate celle qui avait dû embaucher une modératrice.
Dans une société libre et démocratique, la dernière chose qu’on doit faire est de commencer à avoir peur de faire rentrer des livres dans nos écoles
La montée de la haine envers les minorités sexuelles l’inquiète. « Partout dans le monde et au Canada, il y a une frange de la population qui est en train de se mobiliser contre les droits des personnes LGBTQ+, qui parle très fort et qui est très, très mobilisée et très violente dans ses propos. »
Mme Gravel précise ne pas écrire des livres politiques. « Je ne fais pas des livres pour réagir à des lois ou à des situations, surtout dans des États précis, dit-elle. Je fais des livres quand il y a un sujet qui me touche. »
Selon le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, l’autrice prolifique a une « façon très unique de passer certains messages sociaux ». La censure de son livre ne doit pas être tolérée, soutient-il. « Dans une société libre et démocratique, la dernière chose qu’on doit faire est de commencer à avoir peur de faire rentrer des livres dans nos écoles. »
Le ministre, qui est friand du travail d’Élise Gravel, souligne que la question ici n’est pas d’aimer ou non ses livres. « On doit quand même accepter que des oeuvres que nous n’aimons pas soient lues par d’autres personnes. C’est ce qui fait circuler les idées, c’est ce qui nous mène à des débats. »
Il était primordial de poser un geste symbolique comme l’adoption d’une motion par l’Assemblée nationale, poursuit M. Lacombe. « Si on ne se lève pas pour exprimer haut et fort qu’une censure comme celle-là est inacceptable, on abdique un peu, en quelque sorte. »
Avec Étienne Paré