Les grands froids, pas le plus grand risque pour les sans-abri

Une vague de froid se dirige vers le Québec. Or, depuis le début de l’hiver, de nombreux refuges pour itinérants disent manquer de places pour accueillir tous ceux qui frappent à leur porte.
Jacques Nadeau Archives Le Devoir Une vague de froid se dirige vers le Québec. Or, depuis le début de l’hiver, de nombreux refuges pour itinérants disent manquer de places pour accueillir tous ceux qui frappent à leur porte.

Ce n’est pas lors des grands froids, comme celui qui s’amorce ce mois-ci, que les sans-abri sont les plus à risque, plaide le président de la principale ressource en itinérance de Val-d’Or. Les engelures surviennent davantage, dit-il, quand la température est plus clémente et que l’itinérance n’est dans le radar de personne.

« C’est pas pendant ces grands froids-là qu’on a des problèmes avec les personnes itinérantes », lance Stéphane Grenier, président du refuge La Piaule. « C’est quand il fait 5 °C ou -5 °C qu’on gère des engelures. »

Par grand froid, les gens sont plus « généreux », les commerçants plus tolérants, insiste-t-il. « Ils offrent des cafés, vont chercher des tuques, des mitaines. »

Les itinérants, de leur côté, font plus attention à s’habiller chaudement par temps glacial. « Quand il fait moins froid, ils sont plus à risque », poursuit l’intervenant, qui enseigne aussi le travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).

« Souvent, au printemps, ils marchent dans la slush, ils ont les pieds tout trempés. S’ils ont mis le pied dans un trou d’eau le matin, ça va être mouillé toute la journée, poursuit-il. Et là, il vient une rafale du vent du Nord et il se met à faire moins cinq. Après cinq ou six heures avec un pied gelé, c’est là que tu te fais les fameuses engelures. »

Depuis quelques jours, les médias portent une attention particulière aux problématiques d’itinérance en raison de la météo sibérienne qui se profile à l’horizon.

Aura-t-on assez de places dans les refuges pour accueillir tous les sans-abri ? Comment s’assurer que personne ne meurt gelé ?

Le ministre dit avoir« rempli les vides »

À l’Assemblée nationale jeudi, le gouvernement a d’ailleurs dû répondre à de nombreuses questions à ce sujet.

« Des gens seront forcés de dormir dans la rue, ça n’a pas de sens ! Le ministre doit nous dire ce qu’il compte faire, quel est son plan », a lancé la députée libérale de D’Arcy-McGee, Elisabeth Prass.

La porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, de son côté, a réclamé du gouvernement qu’il rende public un « portrait » à jour de la situation de l’itinérance au Québec. « Où est-il, ce portrait qu’il devait fournir […] pour montrer que sa solution est la bonne ? »

Le ministre responsable des Services sociaux a rétorqué que le gouvernement a « ouvert des refuges dans toutes les municipalités qui n’en avaient pas assez ». « Partout où le dernier dénombrement nous montrait qu’il y avait des vides, on a rempli ces vides », a affirmé Lionel Carmant.

Le ministre n’exclut pas toutefois d’intervenir à la dernière minute au besoin. « On a toujours été au rendez-vous et on le sera encore cette semaine. »

Dans sa réponse, le ministre Carmant a aussi affirmé avoir « réglé » les problèmes de Val-d’Or en matinée.

Mercredi, des itinérants ont manifesté dans la ville abitibienne pour réclamer l’accès à un local pour se réchauffer. « Chaud, chaud, chaud, on veut dormir au chaud », scandaient-ils en soirée.

Le principal refuge de Val-d’Or compte un peu plus de cinquante lits. Un nombre devenu insuffisant avec le temps. L’organisme a donc aménagé un site de débordement dans le sous-sol de l’église, où une trentaine de matelas jonchent le sol.

De l’aide, mais pas suffisamment

Or, l’endroit est mal isolé, et la présence des itinérants cause donc des tensions avec les résidents et les commerçants du centre-ville, raconte Stéphane Grenier. La Piaule a loué, en août, un local dans un ancien club vidéo dans un autre secteur de la ville.

C’est alors qu’une inspectrice de la ville a signalé que des travaux s’imposaient pour rendre le local conforme aux exigences de la Régie du bâtiment. Travaux divers, gicleurs… La facture du chantier est passée de 30 000 à 145 000 $, explique le président de La Piaule. Et les retards se sont accumulés.

Ainsi, non seulement le nouveau local n’est pas disponible, mais l’organisme doit maintenir le service à l’église en attendant. Dès lors, il lui faut payer deux loyers.

Des gens seront forcés de dormir dans la rue, ça n’a pas de sens ! Le ministre doit nous dire ce qu’il compte faire, quel est son plan.

 

Le ministre Carmant s’est engagé jeudi à payer celui de l’église d’ici à ce que l’autre local soit prêt. Une intervention très bien accueillie. Mais de là à dire que le gouvernement en fait « assez », il y a une marge, précise Stéphane Grenier.

La Piaule compose avec un déficit de 100 000 $ cette année, notamment parce qu’elle a dû hausser les salaires de ses employés pour les garder, signale-t-il.

Et Val-d’Or n’a pas de centre de jour pour accueillir les itinérants. Alors, ils traînent au centre-ville. « On se retrouve avec des attroupements tout le long de la troisième avenue. Il n’y a pas de toilettes dehors, alors ils se retrouvent à chier à l’arrière des bâtiments, ce qui déprime les commerçants… »

Comme le rapportait Le Devoir dans un récent balado, la pandémie a fait en sorte que l’itinérance touche un plus grand nombre de villes, notamment en région.

Or, Val-d’Or fait face à ce problème depuis fort longtemps. Même chose pour la crise du logement, qui frappait déjà la ville abitibienne auparavant. « On est en crise du logement depuis 2006, rappelle M. Grenier. Ça fait 18 ans que notre taux d’inoccupation n’a pas dépassé 3 %. »

À voir en vidéo