Le Conseil de la magistrature du Québec n’a pas révisé ses codes de déontologie

Le Conseil de la magistrature du Québec n’a « pas [jugé] utile » de modifier les codes de déontologie applicables aux juges de la Cour du Québec, aux juges de paix magistrats et aux juges municipaux dans la foulée de l’entrée en vigueur de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) il y a trois ans et demi.
« [L]es objectifs sous-jacents aux exigences de la laïcité, soit la neutralité et l’impartialité, constituent déjà des devoirs déontologiques inclus dans ces codes de conduite », a conclu le Conseil de la magistrature, après avoir consulté les professeurs de droit Christelle Landheer-Cieslak et de philosophie Jocelyn Maclure.
L’organisation Droits collectifs Québec et le Mouvement laïque québécois demandent au ministre responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge, de rappeler le Conseil de la magistrature du Québec à son obligation de donner suite à l’interdiction du port de signes religieux par les personnes en position d’autorité au sein de l’État prévue dans la loi 21.
« L’intention du législateur, c’est que les juges du Québec ne portent pas de signes religieux, et le Conseil de la magistrature aurait dû tenir compte de l’intention du législateur, ce dont il a fait fi. Alors nous, on pense que c’est inacceptable, tout simplement », affirme le président de Droits collectifs Québec, Étienne-Alexis Boucher. « À l’heure actuelle, on étudie les diverses possibilités pour tenter de convaincre le Conseil de la magistrature de respecter les dispositions de la Loi sur la laïcité de l’État », ajoute-t-il, évoquant même la possibilité de s’adresser aux tribunaux pour y parvenir.
Selon le Mouvement laïque québécois, « le Conseil de la magistrature confond le caractère d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité des juges déjà prévu aux codes de déontologie avec l’obligation légale de l’article 5 de la Loi d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État et d’en assurer à l’égard des juges la mise en oeuvre “en fait et en apparence” dans l’exercice de leurs fonctions ».
C’est comme si vous demandiez à Justin Trudeau s’il est d’accord pour que le Québec se sépare. Vous êtes sûr de la réponse.
L’article 5 de la loi 21 stipule qu’« [i]l appartient au Conseil de la magistrature, à l’égard des juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales ainsi qu’à l’égard des juges de paix magistrats, d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État et d’assurer leur mise en oeuvre ».
Après analyse, le Conseil de la magistrature en est venu à la conclusion que « les normes déontologiques actuelles encadrent de façon suffisante la conduite attendue des juges, y compris au regard des exigences relatives à la laïcité », peut-on lire dans un guide coiffé du titre Les exigences de la laïcité au Québec. Réflexions quant à leur incidence sur le devoir de neutralité réelle et apparente du juge, mis en ligne sur le site Web du Conseil en 2022. « [I]l appartient au juge lui-même d’évaluer s’il est “apte” à entendre une affaire. S’il doute de sa capacité à mener un procès de façon impartiale, il a l’obligation déontologique de se récuser. Les parties peuvent aussi elles-mêmes déposer une demande en ce sens selon le processus connu », souligne-t-il à gros traits.
Droits collectifs Québec a obtenu le guide ainsi que les documents de réflexion des professeurs Christelle Landheer-Cieslak et Jocelyn Maclure en décembre dernier, non sans difficulté. Pour y arriver, l’organisme s’est notamment tourné vers la Commission d’accès à l’information, qui refusait pendant un temps de tenir une audience visant à déterminer si le Conseil de la magistrature était assujetti ou non à la loi d’accès à l’information, puis vers la Cour du Québec.
Par ailleurs, Droits collectifs Québec et le Mouvement laïque québécois s’expliquent mal pourquoi le Conseil de la magistrature s’est appuyé sur des professeurs « qui ne sont […] pas habilités à fournir des avis juridiques sur l’application de la Loi », c’est-à-dire Christelle Landheer-Cieslak et Jocelyn Maclure, qui ont transmis respectivement une « opinion juridique » et un « rapport ». Ils décrivent M. Maclure comme un « critique notoire » et un « adversaire déclaré » de la Loi sur la laïcité de l’État. « C’est comme si vous demandiez à Justin Trudeau s’il est d’accord pour que le Québec se sépare. Vous êtes sûr de la réponse », illustre M. Boucher.
De son côté, le Conseil canadien de la magistrature a précisé, au printemps 2021, que « les juges devraient éviter de tenir des propos ou de porter des insignes visibles marquant leur appui [à des] causes ou points de vue […], en particulier dans le cadre du processus judiciaire ».
Une version précédente de ce texte, qui indiquait que la Loi sur la laïcité de l’État est entrée en vigueur il y a quatre ans et demi, a été modifiée.