Benoit Charette veut augmenter «significativement» et rapidement le prix de l’eau
Les compagnies qui prélèvent l’or bleu du Québec à bas prix n’ont qu’à bien se tenir, avertit le ministre de l’Environnement, Benoit Charette. Il entend déposer dès février un projet de loi opérant une « hausse significative » des redevances sur l’eau et levant le voile sur les quantités d’eau pompée par le privé.
C’est une des trois priorités que s’est fixées l’élu caquiste pour les six prochains mois. Elle trône aux côtés du dépôt de la version mise à jour du plan climatique québécois, attendu au printemps, et de la stratégie de protection du caribou, prévue pour juin, indique-t-il en entrevue avec Le Devoir.
L’an dernier, Benoit Charette a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi 42 « visant principalement à s’assurer de la révision des redevances exigibles pour l’utilisation de l’eau ». Déposé en fin de session parlementaire, le texte législatif, qui ne précisait aucunement la valeur des redevances, n’a jamais eu la chance d’être adopté, par manque de temps.
Or, le ministre de l’Environnement, reconduit dans ses fonctions cet automne, maintient sa position : les trois millions de dollars versés annuellement en redevances par les entreprises qui puisent de l’eau dans les rivières et les lacs québécois sont « insuffisants » au point d’en être « ridicules ». « On parle de plusieurs centaines de milliards de litres d’eau prélevés année après année. Je ne peux pas qualifier la hausse qui sera proposée, mais je peux vous dire que la situation actuelle, c’est un non-sens », souligne-t-il à grands traits.
M. Charette n’attendra pas pour présenter son nouveau projet de loi. « À rebours, je dirais que c’est une bonne chose qu’on n’ait pas adopté le premier projet de loi, parce qu’on arrive avec quelque chose de passablement plus costaud et étoffé. […] C’est quelque chose que je souhaiterais voir présenté quelque part en février, dès les premières semaines de la session parlementaire », affirme l’élu de la Coalition avenir Québec.
Il en profitera aussi pour tenter de lever le sceau de confidentialité sur les quantités d’eau prélevée chaque année par les embouteilleurs qui font affaire au Québec, tels qu’Amaro, Pepsi et Coca-Cola. L’an dernier, la Cour du Québec s’y était opposée, avançant que ces données étaient de nature confidentielle. « Les Québécois seront dorénavant informés », résume-t-il.
Nouvelles fonctions
Nouvellement responsable de la protection des espèces animales et des espaces verts, M. Charette reconnaît par ailleurs avoir effectué des « démarches » en coulisse lors du dernier mandat caquiste pour scinder le feu ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, confie-t-il au Devoir.
Critiqué par plusieurs organismes environnementaux pour une trop grande loyauté aux forestières, ce ministère a été réaménagé l’automne dernier au moment de la nomination du Conseil des ministres. La faune et les parcs appartiennent désormais au ministre Charette, alors que les forêts sont tombées dans la cour de la ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette Vézina.
La décision de revoir la structure gouvernementale « va aider à une meilleure cohérence », indique M. Charette, qui se garde toutefois de dire que la déforestation s’arrêtera du jour au lendemain. « Il va continuer à y avoir des coupes forestières, et je les appuie dans bien des cas, parce qu’elles sont importantes pour la vitalité de nos régions. Sauf qu’il faut le faire intelligemment », soutient-il.
Le nouveau titre du député de Deux-Montagnes ne tient pas sur une ligne — ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Son mandat ne sera pas de tout repos non plus. Il aura à présenter d’ici le mois de juin une stratégie pour sauvegarder et protéger les hardes de caribous forestiers et montagnards, qui fondent comme neige au soleil et risquent l’extinction.
À rebours, je dirais que c’est une bonne chose qu’on n’ait pas adopté le premier projet de loi, parce qu’on arrive avec quelque chose de passablement plus costaud et étoffé
Selon un inventaire des populations de caribous actives rendu public lundi par Québec, le portrait ne s’améliore pas. Sur la Côte-Nord, la population dite « Outardes » de caribous forestiers a en moyenne décliné de 11 % par an de 2018 à 2021. En Gaspésie, les caribous montagnards résistent : ils étaient quelques dizaines en 2021, mais les perspectives de disparition sont encore et toujours réelles.
« La solution est rarement aussi simple que certains voudraient le laisser entendre, dit cependant M. Charette. Il ne suffit pas de dire : on arrête les coupes forestières, le problème est réglé. Parce que si ce n’était que ça, on ne prendrait pas en compte les milieux qui vivent de la foresterie. »
Le ministre caquiste en convient : les données publiées en début de semaine ne sont « pas une bonne nouvelle ». « La baisse est certainement inquiétante, mais on sent qu’il y a un ralentissement de la baisse », avance-t-il.
Mais il entend bien rattraper les retards accumulés ces dernières années en protection de la faune. En décembre, il a annoncé à la conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) ajouter 27 espèces animales à la liste des espèces menacées ou vulnérables du Québec. D’autres devraient suivre.
« Vraisemblablement au cours de l’année 2023, [notre comité consultatif] va nous soumettre une liste de nouvelles espèces. On a fait un rattrapage en décembre dernier, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas d’autres, mises à jour », explique M. Charette.
Revoir la loi ?
Sauf qu’actuellement, la loi ne garantit aucune protection des 37 espèces classées, estiment les groupes écologistes. Ils demandent au ministre de rouvrir la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables pour la renforcer.
M. Charette se dit ouvert, mais se montre frileux. « Lorsqu’il est question d’un changement législatif, c’est souvent une année, si ce n’est pas davantage, rétorque M. Charette. Parce qu’adopter la loi, c’est une chose, mais ensuite, adopter les règlements qui découlent de la loi, ça peut être deux ou trois ans. Moi, je ne voudrais pas perdre deux ou trois ans. »
Toujours capitaine de l’opération de réduction des gaz à effet de serre du Québec pour 2030, Benoit Charette espère déposer une mise à jour du Plan pour une économie verte en avril. L’élaboration de ce nouveau plan vert gouvernemental, qui ne prévoyait l’an dernier que la moitié des mesures nécessaires à l’atteinte des cibles environnementales québécoises, va bon train, lance-t-il.
Les quatre prochaines années représentent-elles le « mandat de la dernière chance », comme le disait notamment Québec solidaire pendant la campagne électorale ? M. Charette ne répond pas directement. « Le discours alarmiste ou proprement partisan, l’élection étant derrière nous, j’invite les gens à le mettre de côté », dit-il.