Dominique Anglade jette l’éponge

Dominique Anglade plie l’échine sous le poids des « intrigues internes » et démissionne de la chefferie du Parti libéral du Québec (PLQ). D’anciens membres du caucus incitent le parti à dénicher un chef par intérim « rassembleur » et « motivateur ».

Elle en a informé le président du PLQ, Rafael Ferraro, puis elle en a fait l’annonce dans un hôtel de la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne, qu’elle représente à l’Assemblée nationale depuis 2015, lundi avant-midi.

« Les enjeux démographiques, culturels, socio-économiques et écologiques sont trop importants pour que l’opposition officielle soit déchirée », a déclaré l’ex-vice-première ministre devant deux fleurdelisés. « Le Parti libéral du Québec doit opérer un renouvellement de son offre politique, et de sa façon même de faire de la politique, et n’a pas le luxe d’être miné par des intrigues internes dont les Québécois n’ont que faire », a-t-elle ajouté.

Plusieurs de ses conseillers — actuels et anciens — étaient éparpillés autour d’elle dans une salle de conférence de l’hôtel Alt. Son mari et ses trois enfants étaient, pour leur part, assis dans la première rangée. Aussitôt sa déclaration terminée, ils se sont lancés dans ses bras et l’ont accompagnée à l’extérieur.

Dominique Anglade demeurera députée jusqu’au 1er décembre, ce qui lui permettra de clore certains « dossiers de circonscription » et de saluer les acteurs locaux avec qui elle a travaillé au fil des sept dernières années, a-t-on expliqué au Devoir.

Les électeurs de Saint-Henri–Sainte-Anne se rendront donc aux urnes une nouvelle fois au plus tard à l’été 2023. En effet, le Conseil des ministres devra adopter le « décret qui ordonne la tenue de l’élection partielle […] au plus tard six mois à partir de la vacance », soit le 1er juin 2023.

« Fermer un chapitre »

Dominique Anglade avait réussi à sauver la mise dans Saint-Henri–Sainte-Anne le 3 octobre en remportant « son » élection avec 2700 votes de majorité (36 % des voix) sur l’avocat Guillaume Cliche-Rivard, qui portait les couleurs de Québec solidaire (28 % des voix). L’attaché politique Nicolas Huard-Isabelle (Coalition avenir Québec) avait terminé la course au troisième rang (18 %).

Mais la cheffe libérale ne se sera pas rendue jusqu’à un vote de confiance.

Le mois dernier, le PLQ récoltait le pire résultat au suffrage universel de son histoire de plus de 150 ans, avec 14,37 % des voix, moins que Québec solidaire et que le Parti québécois. Le caucus libéral se retrouvait par ailleurs amputé de 10 élus par rapport à 2018 (il est passé de 31 à 21).

Et les choses ont vite tourné au vinaigre. Après avoir affirmé en entrevue avec Le Devoir qu’elle comptait « rapidement » demander à ses membres s’ils l’appuyaient encore, la cheffe libérale et ancienne ministre du gouvernement de Philippe Couillard s’est retrouvée au coeur de la tempête quand elle a décidé d’exclure de son caucus la députée de Vaudreuil, Marie-Claude Nichols — qui avait refusé les dossiers liés aux transports au sein du cabinet fantôme libéral.

La semaine dernière, Mme Anglade a convenu que la saga était allée « trop loin », mais elle a échoué à convaincre la députée de se rasseoir à ses côtés dans l’opposition officielle. Plusieurs anciens ténors du parti — Lise Thériault, Gaétan Barrette et Lucie Charlebois, entre autres — ont émis, à ce moment-là, des doutes sur ses capacités à rassembler.

« Depuis le 3 octobre dernier, j’ai pris la pleine mesure des résultats et, comme plusieurs, j’ai été déçue », a précisé Mme Anglade lundi. Elle a « alors entamé une réflexion personnelle, qui est normale », au terme de laquelle elle a décidé de « fermer un chapitre très riche de [sa] vie et [d’]en commencer un nouveau ».

Selon l’ancien ministre libéral Pierre Arcand, « c’était la chose à faire ». « Il y avait beaucoup trop de mécontentement. […] Juste avant les élections, on avait certains problèmes de financement, on avait des problèmes, également, de membership, etc., etc. », a-t-il soulevé à l’autre bout du fil.

Lundi avant-midi, Rafael Ferraro a indiqué que « le Conseil exécutif du PLQ va se réunir en urgence et nommera sans délai, avec l’accord du caucus des députés libéraux siégeant à l’Assemblée nationale du Québec, un membre pour assurer l’intérim ». Selon la tradition, le chef intérimaire choisi ne brigue pas la chefferie permanente par la suite, mais ni les statuts et règlements ni la constitution du parti n’en font mention.

Au moins, dit Pierre Arcand, qui a été chef intérimaire pendant un an et demi, de 2018 à 2020, « il y a quand même beaucoup de nouveaux ». « Moi, quand je suis devenu chef intérimaire, je devais gérer un paquet d’anciens ministres qui n’étaient pas contents d’avoir perdu », a-t-il remarqué, tout en invitant le successeur immédiat de Mme Anglade à être un « bon motivateur ».

« Bouleversant »

L’ex-député David Birnbaum, qui avait siégé aux côtés de Mme Anglade dans l’opposition officielle durant la dernière législature, s’est dit « attrist[é] » lundi qu’elle n’ait pas pu poursuivre son travail. « Ça ne m’étonne pas, a-t-il convenu en entrevue avec Le Devoir. Mais […] devant les circonstances difficiles tout le long de notre mandat, je trouve qu’elle méritait de veiller comme cheffe [à la reconstruction] du PLQ. »

« De toute évidence, plusieurs de mes collègues libéraux n’étaient pas du même avis », a-t-il enchaîné, tout en déplorant que le choix de Mme Anglade « sur son avenir » lui ait été « enlevé par plusieurs ex-collègues ».

Recrutée par Mme Anglade et élue sous son leadership le 3 octobre, la députée de Bourassa-Sauvé, Madwa-Nika Cadet, n’a pas non plus caché sa déception, elle qui s’était portée à la défense de sa cheffe en milieu de semaine dernière. « C’est toujours bouleversant, a-t-elle dit. La voir clore un chapitre, sur le plan humain, c’est sûr que ça me fait de quoi. »

Le premier ministre François Legault a salué lundi « l’engagement et le dévouement » démontrés par Mme Anglade tout au long de sa carrière politique. « Ça prend du courage pour se lancer en politique. Ça prend de la détermination pour être en politique. Ça prend de l’humilité pour quitter », a-t-il gazouillé.

Le règne de Dominique Anglade à la tête du Parti libéral est le plus court de l’histoire de la formation politique. Il s’arrête à 910 jours. Dans l’histoire libérale, seuls deux autres chefs n’ont jamais réussi à se faire élire premier ministre : Georges-Émile Lapalme (2933 jours en poste) et Claude Ryan (1578).

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