Legault ferme la porte à double tour à la proportionnelle

Le premier ministre François Legault a fermé la porte à double tour à toute possibilité de réformer le mode de scrutin, mardi, au lendemain d’une victoire de son parti qui a révélé d’importantes distorsions entre le nombre de votes et la représentation des citoyens à l’Assemblée nationale.
M. Legault avait la voix éraillée après avoir fêté le deuxième mandat obtenu lundi soir par la Coalition avenir Québec (CAQ), avec une écrasante majorité de 90 sièges. Dans sa première conférence de presse depuis le dépouillement du vote, M. Legault a affirmé que les résultats ne l’ont pas fait changer d’avis. « J’ai été très clair pendant la campagne électorale, je me suis engagé à ne pas rouvrir le débat sur le mode de scrutin, a-t-il dit. Je vais respecter mon engagement. »
La semaine dernière, M. Legault avait repoussé l’horizon de toute réforme du mode de scrutin qui intégrerait une dimension proportionnelle. « Il ne faut rien exclure à long terme, parce que les Québécois veulent que les partis travaillent plus ensemble », avait-il alors affirmé.
Mardi, M. Legault a esquissé un projet de réforme parlementaire afin d’améliorer le rôle de chacun des 125 députés, « autant de notre parti que des partis de l’opposition ».
Il s’est aussi montré ouvert à faire preuve de souplesse envers les formations comme le Parti québécois et Québec solidaire, dont les résultats ne permettent pas l’obtention du statut de groupe parlementaire, ce qui les pénaliserait sur le plan financier et dans les débats. « Je vais avoir des discussions avec eux », a-t-il déclaré.
Appel au travail d’équipe
Comme il l’avait fait durant la campagne et dans son discours de victoire, le chef caquiste a répété avoir l’intention de travailler plus étroitement avec l’opposition, ce qu’il voit comme une étape incontournable avant d’envisager toute possibilité de réformer le mode de scrutin.
M. Legault souhaitait collaborer avec elle sur les questions d’environnement et de protection du français. Mardi, il a précisé ses intentions en affectant un dossier à chaque homologue : l’économie à la cheffe libérale, Dominique Anglade ; l’environnement au solidaire Gabriel Nadeau-Dubois ; la protection du français au péquiste Paul St-Pierre Plamondon ; l’efficacité de l’État au conservateur Éric Duhaime.
Ils seront conviés à des rencontres individuelles avec lui. « Ce que je veux, c’est rencontrer les chefs et, bon, oui, s’il y a de bonnes suggestions, les prendre », a-t-il précisé.
M. Legault a par contre écarté la possibilité d’assouplissements qui permettraient à M. Duhaime de tenir des points de presse à l’Assemblée nationale même s’il n’a aucun député élu.
Il a répété qu’une campagne électorale, par définition, était une source de division. Il a reconnu que ses positions en matière de protection du français, qui reposent sur un seuil d’immigration limité à 50 000, ont pu alimenter ces divisions.
La question de l’immigration
M. Legault a reçu lundi soir un appel téléphonique de son homologue fédéral, Justin Trudeau, qui l’a félicité pour sa réélection.
Selon le chef caquiste, le premier ministre canadien s’est montré ouvert à discuter de la protection du français. Il n’est cependant pas allé jusqu’à aborder avec lui ses demandes de nouveaux pouvoirs en immigration. « Je ne pense pas que c’était l’occasion pour avoir une longue discussion sur le comment. »
M. Legault, qui réclamait un mandat fort pour convaincre Ottawa de lui céder des pouvoirs supplémentaires dans la sélection des immigrants, s’est montré relativement satisfait du score obtenu par la CAQ lundi. « Je crois que ça aide, la force du mandat, avec 41 % [des votes] », a-t-il répondu à une question en anglais.
Il reste cependant du chemin à faire pour convaincre M. Trudeau, a-t-il toutefois estimé. Il a l’intention d’en discuter également avec les partis de l’opposition. « Comment on convainc le fédéral de nous donner plus de pouvoirs ? C’est là-dessus qu’il faut travailler ensemble », a-t-il dit.
À Ottawa, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a souligné mardi que le gouvernement du Québec disposait déjà de pouvoirs en immigration. « Québec a les outils nécessaires, et c’est important qu’il puisse le faire, de protéger, promouvoir le français. On va toujours être côte à côte avec Québec lorsqu’il va s’agir de défendre le français. »
Par ailleurs, M. Legault a rappelé que son premier projet de loi viserait à plafonner les hausses tarifaires gouvernementales. Il prendra les prochains jours pour former son prochain conseil des ministres.
Distorsions électorales
Mardi, Dominique Anglade a répété son ouverture à discuter d’une réforme du mode de scrutin même si son parti est avantagé par la formule actuelle. « J’ai surtout dit que le jour où ce sera dans ma plateforme électorale, ce sera un engagement que je vais tenir », a-t-elle ajouté.
Dans un échange avec Le Devoir, la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a insisté sur l’importance d’une réforme. « Il faut, pour une saine démocratie au Québec, reprendre ces discussions-là. »
Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a pour sa part souligné qu’avec un mode de scrutin intégrant une dimension de proportionnelle, son parti aurait satisfait aux règles pour la reconnaissance des groupes parlementaires, car il aurait obtenu 18 sièges. « Curieusement, on termine avec plus de votes au suffrage universel que l’opposition officielle », a-t-il lancé, faisant référence au résultat des libéraux.
Le chef conservateur Éric Duhaime a insisté sur l’importance de pouvoir faire des points de presse à l’Assemblée nationale comme il le faisait auparavant grâce à Claire Samson, sa seule députée, qui a quitté la politique. « On représente un Québécois sur sept, a-t-il dit à Radio-Canada. Si on veut que les Québécois maintiennent la confiance dans les institutions, ça serait la première fois dans l’histoire du Québec qu’un Québécois sur sept vote pour un parti et que ce parti se retrouve dehors. »
Avec Marco Bélair-Cirino, Florence Morin-Martel, François Carabin et Isabelle Porter