Andrée Ferretti, une indépendantiste pure et dure

Andrée Ferretti en décembre 2006, à l’âge de 71 ans
Photo: Jacques Grenier Archives Le Devoir Andrée Ferretti en décembre 2006, à l’âge de 71 ans

Andrée Ferretti, figure pionnière du mouvement indépendantiste québécois, est décédée le jeudi 29 septembre à Montréal. Elle avait 87 ans. Son décès a été annoncé mardi.

« Elle s’est éteinte très paisiblement, au bout de son âge », dit en entrevue la professeure de l’Université du Québec à Trois-Rivières Lucia Ferretti, fille de la défunte, elle-même spécialiste de l’histoire de l’indépendantisme au Québec. « Elle a pris ça plus relax dans les dernières années, mais c’est une femme qui ne s’est jamais ménagée. »

Une femme déterminée et passionnée, ça, oui. Née Andrée Bertrand en 1935 dans le quartier Villeray, à Montréal, alors très ouvrier, elle prend conscience très tôt des injustices sociales, des inégalités, de l’exploitation. Elle gardera toute sa vie des convictions socialistes et un coeur sociopolitique bien à gauche.

« Ma mère vient vraiment d’une famille ouvrière, explique sa fille. Ses oncles parlaient des conflits ouvriers dans les usines, expliquaient qu’il fallait parler en anglais aux contremaîtres. On avait de la parenté éloignée à Murdochville, où a eu lieu une grève importante en 1957. »

Andrée Ferretti a embrassé la cause de l’indépendance dès 1956 en suivant des cours publics du samedi donnés par l’historien Maurice Séguin. Durant la même période, elle rencontre le poète Gaston Miron, l’écrivain Hubert Aquin et le libraire d’origine italienne Febo Ferretti, qui va devenir son mari. M. Ferretti animait avec passion la librairie L’agence du livre français, avenue Bernard à Outremont. « Mon frère disait toujours : “Notre mère est une Québécoise de souche et notre père un Québécois de feuille” », dit Lucia Ferretti.

La jeune idéaliste se joint au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) en 1963, après un attentat du Front de libération du Québec qui a causé la mort d’un homme. Elle partage globalement l’analyse des jeunes felquistes sur la situation coloniale du Québec, mais refuse le recours à la violence. Pour elle, l’accession à l’indépendance doit aussi reposer plus sur la formation d’un vaste mouvement social que sur la voie électorale.

« Du temps de notre militance dans le RIN, Andrée était notre passionaria, a confié l’ex-felquiste Jacques Lanctôt dans une chronique du Journal de Montréal de 2015 consacrée au livre Mon désir de révolution (XYZ), de Mme Ferretti. Tous les gars de mon âge en étaient secrètement amoureux. »

Parti québécois

 

Andrée Ferretti se porte candidate pour le RIN en 1966 dans la circonscription de Laurier, où elle affronte un certain René Lévesque. Elle devient vice-présidente du Rassemblement l’année suivante, mais quitte le mouvement en mars 1968 pour protester contre la fusion du RIN avec le Mouvement souveraineté-association, rapprochement qui va créer le Parti québécois, qu’elle ne juge pas assez indépendantiste. 

 Elle est arrêtée en même temps que 497 citoyens et emprisonnée pendant presque deux mois pendant la crise d’Octobre en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Elle en a tiré des années plus tard le récit Octobre de lumière.

Andrée Ferretti a fini par se rallier au Parti québécois en 1973, et s’est impliquée énormément dans le camp du Oui lors du premier référendum sur la souveraineté, en 1980. La défaite, qu’elle qualifie alors de « capitale », sera malgré tout suivie par d’autres années de lutte pour le projet politique de sa vie.

Andrée Ferretti était diplômée de philosophie et a mené une carrière d’autrice marquée par cette formation intellectuelle. Son style « court, ciselé » a servi à produire des essais, de nombreuses nouvelles et plusieurs romans, dont Renaissance en Paganie (1987), son premier, qui propose un dialogue imaginaire entre Hypatie d’Alexandrie et Hubert Aquin. Pures et dures, le titre de son dernier livre, publié en 2015 par XYZ, pourrait lui servir d’épitaphe.

Mme Ferretti avait eu le temps de voter par anticipation. Elle résidait dans la circonscription de Rosemont, où se présentait le candidat péquiste Pierre-Luc Brillant, qui a publié un texte dans Le Devoir en fin de campagne. Lucia Ferretti l’a lu à sa mère la veille de son décès.

« M. Brillant exprimait ses convictions indépendantistes, dit-elle en étouffant ses sanglots. Vous allez m’excuser, c’est ma mère, c’est notre combat. Alors qu’elle était franchement sereine et qu’elle aurait pu lire l’article elle-même, ma lecture nous a rapprochées. Nous étions émues toutes les deux. On a toujours le deuil à faire de sa propre vie quand on va mourir. Mais le deuil de ne pas avoir vu l’indépendance, ça a quand même été une grande tristesse de sa vie. »

 


Une version précédente de ce texte, qui indiquait que la grève de Murdochville a eu lieu en 1956, a été modifiée. Elle a bien eu lieu en 1957.

 

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