Dix ans après les attentats du Métropolis

Une décennie, déjà, depuis l’attentat du Métropolis qui visait Pauline Marois le soir de son ascension à la tête du gouvernement québécois. Dix ans plus tard, l’ancienne cheffe péquiste voit enfin l’événement pour ce qu’il était : un attentat politique.
« Je n’ai pas nommé l’événement au moment où ça s’est passé, confie l’ancienne première ministre du Québec, en entrevue avec Le Devoir. C’était ma décision. » C’est d’abord dans le jugement prononcé en cour que l’attaque avait été officiellement nommée. « C’était vraiment un attentat politique auquel j’avais échappé et auquel les militants du Parti Québécois avaient échappé », estime-t-elle aujourd’hui.
Le 4 septembre 2012, Richard Henry Bains s’est introduit dans le théâtre Métropolis de Montréal où il a tenté de tirer sur la première ministre élue, alors qu’elle tenait son discours inaugural et célébrait sa victoire. Une victoire en deux temps : en tant que femme et en tant que péquiste. Elle est alors interrompue par deux gardes du corps qui l’escortent hors de la scène.
Le tireur s’était approché de la porte arrière de l’édifice, sans surveillance policière, une arme d’assaut à la main, et a ouvert le feu. D’une seule balle, il tue le technicien de scène Denis Blanchette et blesse grièvement son collègue Dave Courage. Mais son arme s’enraye après le premier coup de feu et Bains se résout à prendre la fuite. Rapidement appréhendé par les autorités, il ne se rend pas bien loin.
Au moment de son arrestation, l’homme avait lancé en français : « Les Anglais se réveillent ».
Une fois hors de danger, Pauline Marois est remontée sur scène « dans la perspective de calmer le jeu », explique-t-elle. Puis rapidement, elle a souhaité passer à autre chose.
« Comme j’étais bien consciente du défi que j’avais à relever — j’étais à la tête d’un gouvernement minoritaire, j’avais plein de projets à mettre en oeuvre —, il y avait une urgence de me mettre à la tâche. J’ai tourné la page », raconte Mme Marois, première femme élue comme cheffe de gouvernement au Québec.
« Peut-être aurais-je dû davantage le nommer au moment où ça se passait, mais j’avais décidé que je ne voulais pas exacerber mes relations avec la communauté anglo-québécoise », poursuit-elle.
Richard Henry Bain a été reconnu coupable, en 2016, d’un chef de meurtre au deuxième degré et de trois chefs de tentative de meurtre pour la fusillade.
Prendre les menaces au sérieux
Pauline Marois avait été la cible de plusieurs menaces formulées le jour de l’attentat. Six, pour être exact, dont une particulièrement inquiétante.
Quatre autres techniciens de scène présents ce soir-là ont intenté une poursuite en dommages contre le Service de police de la Ville de Montréal et la Sûreté du Québec. Ils reprochent plusieurs fautes aux deux corps policiers, dont le manque d’effectifs autour du Métropolis, et une absence de coordination et de planification, notamment l’absence d’analyse des diverses menaces faites le jour même à Mme Marois.
Les policiers n’ont pas effectué d’analyse pour prévoir ce qui aurait pu se passer si Pauline Marois était élue, une souverainiste qui allait devenir la première femme à occuper ce poste, a plaidé leur avocate, Me Virginie Dufresne-Lemire.
Ce genre de menaces formulées à l’endroit de personnalités politiques sont d’ailleurs de plus en plus courantes au Québec, comme au Canada, et visent typiquement des femmes en position de pouvoir. Le mois dernier, la vice-première ministre, Chrystia Freeland, a elle-même fait l’objet de harcèlement verbal à Grande Prairie, en Alberta.
« Il y en a toujours eu, des menaces, pendant que j’étais ministre, en campagne électorale ou première ministre », laisse tomber Mme Marois au bout du fil.
« C’est comme si on nous imaginait relativement fragiles et que notre fragilité autorise les machos de ce monde à nous attaquer. On sait aussi très bien que les attaques faites aux femmes utilisent beaucoup de propos sexistes et vulgaires liés au sexe », ajoute l’ancienne première ministre du Québec, qui y a elle aussi eu droit.
Vers des pistes de solution
Mme Marois note aussi que les menaces se font aussi de plus en plus nombreuses, dix ans après l’attentat qui la visait. « Qu’on en soit encore là aujourd’hui, je trouve que c’est condamnable à tous égards. C’est la démocratie qui est perdante dans tout ça », déplore-t-elle.
« C’est pire que ce l’était », ajoute-t-elle, estimant que les réseaux sociaux et les récents mouvements complotistes qui ont pris de l’ampleur dernièrement ont une grande part de responsabilité.
Les solutions ne sont pas nombreuses, pour l’ex-femme politique. C’est d’abord l’éducation qui a un rôle fondamental à jouer dans cette lutte contre la haine et la violence. Elle insiste également sur la nécessité de mettre en place un meilleur encadrement des réseaux sociaux, afin de prévenir les menaces et d’éviter les dérapages.
« Avec ces messages haineux qui apparaissent de toute part, je crois qu’il faut [aussi] protéger les personnalités publiques qui sont en autorité et qui ont des responsabilités », renchérit-elle.
Le gouvernement fédéral évalue par ailleurs la possibilité de munir ses ministres d’un garde du corps ou d’un chauffeur qui serait armé et formé pour les protéger, comme ceux qui accompagnent tous les ministres du gouvernement du Québec.
« J’ai évité des situations qui auraient pu être dangereuses pour moi parce que des gardes du corps ont sécurisé les lieux, poursuit Mme Marois. C’est sûr qu’il y a un coût qui vient avec ça, mais en même temps, il me semble que ces personnalités qui sont au service du public et qui ont de grandes responsabilités devraient en contrepartie avoir une meilleure sécurité. »
Avec Stéphanie Marin