La CAQ, championne incontestée des publicités Facebook préélectorales

La Coalition avenir Québec (CAQ) a dépensé plus de 120 000 $ pour atteindre ses potentiels électeurs sur Facebook et Instagram au cours du mois précédant le déclenchement des élections. Un montant qui va bien au-delà des quelques centaines de dollars déboursées par les quatre autres principaux partis, révèle une analyse du Devoir.
« Je suis surpris par la hauteur des montants dépensés par la CAQ », admet d’emblée Thierry Giasson, directeur du Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval. « Les études montrent que les premières publicités auxquelles on est exposés ont plus d’impact que celles auxquelles on est exposés plus tard dans la campagne. Et avec 120 000 $ sur Facebook en un mois, on peut faire beaucoup, beaucoup de choses. »
Le parti au pouvoir à la dissolution de l’Assemblée nationale a dépensé en moyenne 7000 $ par jour chez la multinationale Meta — à l’exception de la journée de samedi, la veille du déclenchement de la campagne électorale, lors de laquelle presque toutes ses publicités ont été retirées des plateformes numériques.
Ses adversaires n’ont dépensé que quelques centaines de dollars quotidiennement. Seul le Parti libéral du Québec (PLQ) a dépensé plus de 1000 $ en 24 heures, alors que l’échéance approchait, triplant ses dépenses entre vendredi et samedi.
Le Directeur général des élections du Québec avait par ailleurs tiré une sonnette d’alarme en la matière, plus tôt cet été, après avoir constaté que les publicités de la CAQ s’accumulaient en ligne et dans les médias traditionnels.
Depuis lundi, les règles qui encadrent les dépenses électorales sont bien plus strictes, car la Loi électorale entre en vigueur dès le lendemain de la prise du décret. Les dépenses sont alors plafonnées en fonction du nombre d’électeurs dans chaque circonscription, ce qui n’est pas le cas dans les semaines et les mois précédant la campagne.
« C’est honteux ce que la CAQ a fait avant le déclenchement des élections », déplore Thierry Giasson. « Ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral. La publicité préélectorale, ça va à l’encontre de l’esprit de la Loi électorale. Les partis devraient eux-mêmes s’astreindre à un peu de discipline et de rigueur. »
La CAQ loin devant
Dans le mois précédant le déclenchement de la campagne électorale, un total de 112 pages Facebook de la CAQ ont eu recours aux services de Meta pour diffuser de la publicité sur les réseaux sociaux de l’entreprise.
Trente pages de candidats caquistes ont dépassé les 1000 $ de dépenses, dont, en tête de liste, celles de Christiane Gamache (Jean-Lesage), de Bernard Drainville (Lévis) et de Sylvain Lévesque (Chauveau). Leurs trois circonscriptions sont actuellement le théâtre des luttes les plus serrées de la province, selon Qc125.
Du côté des oppositions, on ne compte que quelques pages de députés sortants et de candidats qui ont acheté des publicités sur Facebook et Instagram : cinq pour le PLQ, sept pour Québec solidaire (QS), deux pour le Parti québécois (PQ) et une seule pour le Parti conservateur du Québec (PCQ).
Au PLQ, la cheffe, Dominique Anglade, se démarque, avec plus de 6000 $ dépensés en un mois. Seuls trois autres candidats libéraux ont tenté de rayonner sur les plateformes numériques au cours de la période examinée : Frédéric Beauchemin (Marguerite-Bourgeoys), Catherine Boundjia (Mercier) et Rita Ikhouane (Gouin).
QS semble avoir centralisé ses dépenses de publicité en ligne : la page principale du parti a dépensé 85 % des sommes enregistrées au cours du mois qui a précédé le déclenchement des élections. Les trois candidats aux dépenses les plus élevées sont le chef Gabriel Nadeau-Dubois, ainsi que Sol Zanetti, député sortant de Jean-Lesage, et Catherine Cyr Wright, candidate dans Bonaventure. Leurs deux circonscriptions sont considérées comme des pivots par Qc125.
Le Parti québécois, à la fois dernier et premier
Au PQ, on ne compte que deux candidats qui ont acheté des publicités destinées aux mêmes plateformes : Michaël Potvin (Jean-Lesage) et Yves Bérubé-Lauzière (Sherbrooke). Ni la page principale du parti ni celle du chef n’ont investi en publicités sur Facebook et Instagram.
Mais il serait « erroné » de dire que le parti est complètement absent des réseaux sociaux, selon Marc-Antoine Martel, chercheur au Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique : cette absence de publicité pourrait plutôt s’expliquer par le nombre élevé d’abonnés à la page du PQ.
« Ça ne veut pas dire qu’en n’achetant pas de publicité, on ne diffuse pas notre message ; lorsqu’on a beaucoup d’abonnés, on peut avoir un large auditoire, notamment avec du contenu plus viral ou en interagissant beaucoup avec les citoyens sur ces plateformes, ce qui favorise l’engagement. Le Parti québécois domine en ce moment, avec plus de 150 000 abonnés. »
Aucun candidat du PCQ ne s’est prêté au jeu de Meta, outre le chef, Éric Duhaime, qui trône au palmarès des dépenses les plus élevées chez les dirigeants de parti, avec 10 482 $.
Ce choix d’investir uniquement dans l’image du chef tient d’une question de crédibilité pour le PCQ, croit Marc-Antoine Martel. « Le parti veut s’illustrer en mettant en avant son chef, après que certaines candidatures ont été critiquées ou ridiculisées. Les bonnes intentions de vote pour le parti ne se traduiront d’ailleurs pas nécessairement par des sièges à l’Assemblée nationale ; donc, il doit cibler certaines circonscriptions stratégiques. »
« On a probablement voulu se servir de ces publicités-là pour sortir de la chambre d’écho conservatrice de droite, voire d’extrême droite, qui est un peu la clientèle de base d’Éric Duhaime […], en ciblant des électeurs qui partagent certaines caractéristiques démographiques [avec elle] », ajoute Thierry Giasson.
Car c’est là tout l’avantage de se tourner vers Meta pour acheter de la publicité : le géant du Web récolte de larges quantités de données sur ses utilisateurs, ce qui permet aux partis de cibler de façon très précise les destinataires de leur message. « Facebook permet de segmenter l’électorat, de déterminer des cibles en fonction de certaines caractéristiques démographiques, mais aussi de géolocalisation », explique Thierry Giasson. « C’est le nerf de la guerre. »
Une version précédente de ce texte, qui indiquait que les dépenses sont plafonnées en fonction du nombre de votes recueillis au scrutin précédent, a été modifiée.
Méthodologie
Le Devoir a analysé les données de Meta sur les publicités portant sur des enjeux sociaux, électoraux ou politiques au Québec qui ont été diffusées entre le 29 juillet et le 27 août 2022. Elles comprennent les publicités présentées sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram achetées par les pages principales des partis ou achetées par les pages des candidats.