Augmenter l’immigration ne réglera pas la pénurie de main-d’oeuvre, maintient Jean Boulet

Québec tient coûte que coûte à maintenir ses seuils d’immigration aux niveaux actuels malgré une pénurie de main-d’oeuvre qui n’est pas près de se résorber.
En entrevue bilan avec Le Devoir, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale justifie l’intention de son gouvernement de maintenir le rythme d’accueil actuel, malgré l’accumulation des postes vacants — on en comptait plus de 224 000 au premier trimestre de 2022. « Moi, j’ai toujours dit : “les seuils ne bougent pas” », répète-t-il.
« On a encore du travail d’intégration, d’amélioration des problématiques de surqualification. […] C’est : “en prendre soin” », ajoute le ministre, en écho au leitmotiv électoral de sa formation politique en 2018.
En mai, le ministre Boulet avait ouvert la porte à réviser à la hausse le plafonnement des entrées migratoires. Une étude du démographe Marc Termote lui recommandait alors d’augmenter les seuils de 8000 nouveaux arrivants en cinq ans. Après avoir qualifié cette analyse de « raisonnée et raisonnable », M. Boulet avait finalement rebroussé chemin sur Twitter.
« Je me suis mal exprimé et j’ai été mal compris lorsque j’ai été questionné par des journalistes. Ce n’est pas acceptable de recevoir 58 000 immigrants chaque année », avait-il écrit.
La conversation sur ces seuils a repris de plus belle cette année. Alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) privilégie le statu quo, le Conseil du patronat du Québec recommande d’accueillir au moins 80 000 immigrants annuellement, et même de « tendre vers » les 100 000. Le Parti libéral du Québec (PLQ) s’est déjà mouillé : un gouvernement piloté par Dominique Anglade irait jusqu’à 70 000 entrées par année en début de mandat.
En matière d’immigration, la CAQ privilégie une renégociation de l’entente Canada-Québec, qui régit le partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement. Elle se positionne aussi en faveur du rapatriement des programmes de réunification familiale et de travailleurs étrangers temporaires, parce que le gouvernement fédéral « est incapable de livrer », insiste Jean Boulet.
« Les admissions sont faites par Ottawa, et les seuils ne sont même pas atteints à ce moment-ci », soutient-il. Selon l’élu responsable de la région de la Mauricie, les solutions à la pénurie de main-d’oeuvre se trouvent partout : travailleurs de plus de 65 ans, personnes judiciarisées, personnes en situation de handicap… Il suffit de les attirer avec les bons incitatifs.
Quelques options
Chez les travailleurs expérimentés, soit ceux qui ont passé l’âge de la retraite, la popularité du marché de l’emploi donne confiance à M. Boulet. Ils étaient plus de 194 000 travailleurs de 65 ans et plus le mois dernier, soit 20 000 de plus qu’il y a trois ans. Intrigué par le potentiel de productivité de cette tranche de la population, le ministre n’exclut pas d’agir pour repousser l’âge de la retraite. « On est en réflexion constante », dit-il.
Le ministre Boulet a déjà laissé entendre que la pénurie de main-d’oeuvre était là pour de bon, du moins à moyen terme. En s’appuyant sur les calculs de démographes, il anticipe un « creux historique » en 2030.
« C’est un phénomène qui devient de plus en plus aigu, qui a été accentué par la pandémie. Et ça va continuer », admet-il au téléphone.
L’élu caquiste n’est « pas du tout défaitiste ». « Notre taux d’emploi chez les 15 à 64 ans, il est quand même le plus élevé au Canada », soulève-t-il. Le nombre de prestataires de l’aide sociale s’est d’ailleurs abaissé de 23 % de janvier 2018 à janvier 2022, se réjouit le ministre.
Des enfants derrière la caisse
Une seule chose tracasse Jean Boulet : le recours aux moins de 14 ans sur le marché du travail. La Loi le permet, mais cette tendance s’est trop accélérée au goût du député de Trois-Rivières. « Le travail des jeunes ne doit jamais nuire à la persévérance scolaire. […] Pour moi, je l’ai déjà mentionné, ce n’est pas normal qu’un jeune de 11 ans travaille », lance-t-il.
Québec ne détient pas de statistiques sur l’emploi des plus jeunes. Statistique Canada non plus. Mais M. Boulet constate un rajeunissement du bassin d’employés. « Il y a des cas, par exemple dans des restaurants, où des jeunes de 11 ans peuvent travailler dans des cuisines près d’équipements qui peuvent comporter un certain danger », s’inquiète-t-il.
Pour mieux « encadrer le travail des enfants », le ministre envisage de légiférer, si son parti est reconduit au pouvoir en octobre.
La plateforme caquiste sera rendue publique au cours des mois prochains. Déjà, le PLQ a présenté la sienne, qui prévoit un congé de cotisations au Régime de rentes du Québec pour les 62 ans et des places en services de garde à 8,70 $ « pour tous ».
Québec solidaire (QS), le Parti québécois (PQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ) n’ont pas non plus déposé leur programme électoral. QS s’est toutefois engagé à obliger les entreprises à offrir quatre semaines de vacances par année à leurs employés après un an de services. Le PQ prévoit notamment dans son « projet national » de « réformer le processus de reconnaissance des diplômes ». Le PCQ souhaite, entre autres, revoir à la hausse le crédit d’impôt au prolongement de carrière des travailleurs d’expérience.