Drainville franchit de nouveau la porte tournante

L’histoire se répète. Le journaliste Bernard Drainville fait (de nouveau) le saut en politique, provoquant (une fois de plus) des remous dans l’univers politico-médiatique — ce qui n’est pas de nature à renforcer la confiance du public à l’égard des médias, selon des experts.
« Les seuls perdants là-dedans, ce sont les médias », déplore le spécialiste de l’éthique du journalisme Marc-François Bernier. « Le phénomène des portes tournantes [entre la politique et le journalisme], ça n’aide jamais les médias, qui sont aux prises avec un déficit de confiance et de crédibilité », dit le professeur de l’Université d’Ottawa.
Dans le cas de Bernard Drainville, le malaise est d’autant plus grand qu’il a fait le même coup deux fois en 15 ans. Le 6 février 2007, le courriériste parlementaire Bernard Drainville annonce à son employeur, Radio-Canada, qu’il grossit les rangs du Parti québécois, et ce, trois jours après en avoir interviewé le chef, André Boisclair. Les membres de son équipe sont surpris. Les libéraux et les adéquistes sont aux abois. Le 2 juin 2022, l’animateur de radio Bernard Drainville annonce à son patron, Cogeco Média, qu’il se joint à la Coalition avenir Québec. Les membres de son équipe ne sont pas si surpris. Les libéraux, les solidaires, les péquistes et les conservateurs s’en plaignent.
Depuis quand ?
« Depuis quand sait-il qu’il sera candidat de la CAQ ? Quand a-t-il commencé à négocier sa candidature à la CAQ ? » a demandé le député péquiste Pascal Bérubé vendredi. À ses yeux, son ancien confrère péquiste (2007-2016) a « toujours préservé le gouvernement de la CAQ » sur les ondes du 98,5 FM, où, en plus d’animer l’émission de l’après-midi, il tenait la chronique politique durant l’émission matinale, et ce, jusqu’en décembre 2021. En revanche, Bernard Drainville a été « particulièrement dur à l’égard des partis d’opposition », a fait valoir M. Bérubé.
De son côté, le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a reproché vendredi à son ancien coanimateur de Duhaime-Drainville le midi de lui avoir demandé en début de semaine de préciser ses « positions sur la langue, l’immigration et l’identité » sans lui dire qu’il était engagé dans des « tractations » avec des membres de la garde rapprochée du chef caquiste en vue d’une éventuelle candidature.
Bernard Drainville ne lui avait pas répondu au moment où ces lignes étaient écrites. L’ancien journaliste a gazouillé pour la dernière fois mardi. Il invitait ses quelque 110 000 abonnés à « écoute[r] le témoignage inusité [livré à son émission par] Mireille Levasseur, qui s’est retrouvée avec un dindon sauvage dans son salon ». Depuis, la page de son émission Drainville PM a été retirée du site Web du 98,5 FM.
Rien à se reprocher, vraiment ?
Bernard Drainville n’a rien à se reprocher, même si « ce n’est pas une situation idéale pour ce qui est de la confiance du public envers les médias », affirme le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Michaël Nguyen. « Tous les citoyens peuvent se porter candidats pour aller en politique. Les conventions collectives de tous les grands médias le disent souvent », dit-il.
Le professeur de journalisme à l’UQAM Patrick White est du même avis. « Il a appris des erreurs de sa première expérience [quand il avait fait le saut au PQ peu de temps après avoir interviewé André Boisclair. Cette fois-ci,] ça a été fait dans les règles de l’art », indique-t-il. « Ça a été orchestré avec son employeur, il n’est déjà plus en ondes, il n’a plus de lien d’attache avec son média, donc ça me semble avoir suivi les règles les plus élémentaires de déontologie. »
« On ne peut pas empêcher quelqu’un des médias de s’en aller en politique », soutient aussi le professeur Marc-François Bernier. « C’est quand les gens quittent la politique et reviennent dans les médias que c’est plus problématique. » D’ailleurs, les médias devraient être plus exigeants à cet égard, affirme-t-il, suggérant « qu’il y ait quelques années entre la fin de la vie politique et le début de la vie médiatique et que la personne s’engage par contrat à ne pas faire le saut en politique de façon inopinée ».