L’Assemblée nationale adopte la «loi 96»

Pour : 78 voix; contre : 29. L’Assemblée nationale a adopté mardi le projet de loi 96, qui réforme notamment la Charte de la langue française près de 45 ans après sa création. Le débat parlementaire est maintenant clos, mais la confusion quant à certaines de ses dispositions persiste. À commencer par celles sur la prestation de services de santé en anglais.
« Les personnes, peu importe leur origine, qui ont besoin de services [de santé] en anglais vont pouvoir continuer, comme actuellement, à avoir des services en anglais », a répété le premier ministre François Legault après l’adoption de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. « C’est le statu quo. »
Mais le président de la Coalition pour des services sociaux et de santé de qualité (CSSSQ), Eric Maldoff — qui était au Parlement pour traverser ce qu’il qualifie de « journée sombre dans l’histoire du Québec » —, ne s’est toutefois pas satisfait des affirmations du chef du gouvernement.
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Ce que la «loi 96» modifie… et quandL’avocat presse François Legault de déposer un nouveau projet de loi visant à « exempter explicitement le réseau de la santé et des services sociaux du champ d’application » de la nouvelle loi. « Ça va éliminer toute la confusion, toutes les inquiétudes, ça va faire taire le Collège des médecins, Eric Maldoff et “tous les autres fous” qui insistent [sur le fait] que la loi dit les choses qui y sont écrites noir sur blanc », a déclaré celui qui a été taxé de désinformation par le premier ministre.
Les députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) et de Québec solidaire (QS), ainsi que les indépendants Marie Montpetit (ex-élue libérale) et Sylvain Roy (ex-élu péquiste), se sont tour à tour levés mardi après-midi pour appuyer le texte législatif signé par le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette.
Les élus du Parti libéral du Québec (PLQ) et du Parti québécois (PQ) ont pour leur part inscrit leur dissidence. Pour le PLQ, le « mauvais » projet de loi 96 « est le résultat d’un geste néfaste, calculateur et petit » de la part de la CAQ. Pour le PQ, le « tellement faible » projet de loi 96 « ne passe pas proche de renverser notre déclin linguistique ».
« On a, d’un côté, un parti qui dit : ça va trop loin. De l’autre : pas assez loin. Donc, on voit que la CAQ est dans une position équilibrée », a souligné le premier ministre Legault, qualifiant la nouvelle loi de « responsable » et « modérée ».
La députée du Parti conservateur du Québec, Claire Samson, a quant à elle préféré s’abstenir, après avoir pourtant promis de s’opposer au projet de loi 96.
Le ministre Jolin-Barrette a réitéré mardi la nécessité « de bonifier en profondeur tous les chapitres de cette loi fondamentale » qu’est la loi 101 au moyen d’une réforme « costaude ». Celle proposée par le projet de loi 96 est « la plus importante » depuis l’adoption de la Charte de la langue française, en 1977, sous l’impulsion du ministre péquiste Camille Laurin, a-t-il fait remarquer. « La loi que nous adoptons aujourd’hui représente le début d’une grande relance linguistique qui permettra à la nation québécoise de continuer d’exprimer pleinement son identité et ses valeurs », a-t-il souligné à la presse.
Un enjeu électoral ?
Le Mouvement Québec français (MQF) cherchera à inscrire le dossier de la langue « au cœur de la prochaine campagne électorale », qui battra son plein cet été.
« Les mesurettes du gouvernement Legault ne permettront pas d’atteindre l’objectif — absolument minimal — qui consiste à stopper la régression globale de notre langue nationale au profit de l’anglais », a affirmé le président du MQF, Maxime Laporte. « Manifestement, pour ce gouvernement qui se dit nationaliste, demander le strict minimum, c’était déjà trop demander… »
La « loi 96 » modifiera une vingtaine de lois et de règlements.
Dans les cégeps anglophones, elle aura pour effet d’imposer trois cours « en » français supplémentaires aux étudiants allophones et francophones. Les ayants droit — ceux dont l’un des parents a fréquenté une école primaire ou secondaire en anglais au Canada — pourront plutôt suivre des cours « de » français langue seconde s’ils le souhaitent. La capacité des établissements collégiaux anglophones sera plafonnée afin qu’elle ne dépasse pas celle de l’année scolaire 2019-2020, c’est-à-dire 30 834 places. Le gouvernement du Québec veut ainsi freiner le transfert d’étudiants francophones et allophones vers le réseau anglais.
Au fil de la dernière année, les élus du Parti québécois ont pressé le gouvernement Legault d’étendre la portée de la Charte de la langue française au niveau collégial, en vain.
La contestation se prépare
Le porte-parole de la CSSSQ, Eric Maldoff, est prêt à parier que la loi subira tôt ou tard le test des tribunaux. « Il y aura sans doute des contestations parce que la loi est si mesquine qu’elle crée tant de problèmes », a-t-il fait valoir.
L’adoption du projet de loi 96 a « accéléré » la réflexion d’un « comité d’avocats », a indiqué Julius Grey. « C’est certain que cette loi va être contestée, et vigoureusement », a indiqué le juriste en entrevue au Devoir. « C’est une triste journée pour le Québec. [La “loi 96”] est gratuite et basée sur de fausses prémisses de déclin du français. Les Québécois finiront par la regretter. »
Le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, n’a pas écarté non plus la possibilité de contester — directement ou indirectement — la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Il s’agit d’une source d’« inquiétudes » pour son gouvernement, a-t-il précisé.
« Nous continuons à surveiller très, très attentivement la forme finale que cela prendra. Et nous prendrons nos décisions en fonction de ce que nous considérons comme étant nécessaire pour protéger les minorités dans tout le pays », a-t-il déclaré lors d’un point de presse en Colombie-Britannique. « Je sais à quel point il est important d’appuyer les communautés francophones hors Québec. Mais c’est aussi extrêmement important de s’assurer qu’on protège les communautés anglophones au Québec. »
François Legault croit que « la majorité des Québécois sont d’accord avec la protection du français, sont d’accord avec les mesures importantes dans le projet de loi 96 ». « Je vois mal comment M. Trudeau pourrait s’opposer à la majorité », a-t-il dit quelques minutes après l’adoption du projet de loi, mardi.
Tout comme ils l’ont fait au Salon bleu lors du vote final, le PLQ et le PQ se sont aussi entendus pour se serrer les coudes avec le gouvernement caquiste face au fédéral. « Je pense que c’est aux Québécois de régler ces enjeux-là, et je pense qu’il va y avoir des contestations ici de toute façon », a signifié la cheffe libérale, Dominique Anglade. « Il faut défendre toutes les lois [du Québec] », a renchéri le député péquiste Pascal Bérubé.