Pas assez de soins ni de financement pour les aînés

Le rapport de la VG démontre que le gouvernement du Québec a détourné le regard du sort des aînés pendant des années.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le rapport de la VG démontre que le gouvernement du Québec a détourné le regard du sort des aînés pendant des années.

Le gouvernement n’offre pas assez de soins aux aînés en grande perte d’autonomie et sous-évalue les coûts qui seront associés à ces soins au cours des prochaines années, a révélé mercredi le rapport de la vérificatrice générale du Québec (VG), Guylaine Leclerc.

Dans un contexte où la population est vieillissante, le manque à gagner pour couvrir les besoins des aînés en grande perte d’autonomie sera, au bas mot, de 1,9 milliard de dollars en 2028, écrit la VG dans son rapport.

« Donc, il faut immédiatement que le ministère réfléchisse à comment on va les [servir], mais non seulement cela, comment on va le financer », a-t-elle déclaré à l’Assemblée nationale.

Déjà, l’intensité des soins — soit le nombre d’heures allouées à une personne en grande perte d’autonomie — est insuffisante au Québec, tant dans les soins à domicile que dans les CHSLD.

À la maison, le nombre moyen d’heures de services a été établi, annuellement, à 1962 heures. Or, dans les faits, il a varié entre 325 et 692 heures entre 2015 et 2021. En CHSLD, ce seuil est aussi de 1962 heures par an. Entre 2015 et 2020, il a plutôt été de 1157 à 1249, relève le rapport.

Chez 59 % des usagers de soins à domicile âgés de 70 ans ou plus et en grande perte d’autonomie, « moins de 5 % [des] besoins étaient comblés en matière d’aide à domicile et de soins infirmiers reçus à domicile » en 2020-2021.

Devant les médias, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, a rappelé qu’elle avait récemment déposé une politique et un Plan d’action pour l’hébergement de longue durée. « On est sur la bonne voie. Moi, je ne connais aucun gouvernement qui a investi, en trois ans et demi, 1,9 milliard de dollars pour faire des soins à domicile », a-t-elle ajouté. « Maintenant, ça prend aussi du personnel pour donner les soins à domicile », a-t-elle ajouté, en plaidant pour de meilleures conditions de travail pour ces professionnels.

Aucune projection pendant 15 ans

Le rapport de la VG démontre par ailleurs que le gouvernement du Québec a détourné le regard du sort des aînés pendant des années. « Depuis plus de 20 ans, le [ministère de la Santé] est conscient que la demande d’hébergement de longue durée ne va cesser d’augmenter. Pourtant, pendant près de 15 ans, il n’a pas réalisé de projections de cette demande », lit-on dans le rapport.

En parallèle, « de 2005 à 2019, le ministère a fait le choix de ne pas augmenter le nombre de places en CHSLD. En réalité, ce nombre a diminué d’environ 15 % », observe la VG dans son audit.

Le ministère de la Santé a finalement bâti de nouvelles projections sur 10 ans en 2018, pour les aînés de 70 ans et plus. « L’augmentation annuelle moyenne prévue est de 2026 aînés en CHSLD de 2019 à 2028 », note le rapport.

Les projections sont cependant faites « sur une trop courte période », selon la VG, qui estime que « des projections sur un horizon plus lointain permettraient d’avoir une vision plus juste des défis à venir ». « De plus, le [ministère de la Santé] n’a pas inclus certaines variables importantes dans ses calculs, dont le nombre d’aînés en attente d’une place pour un hébergement permanent de longue durée, alors que ceux-ci représentent une partie de la demande réelle. »

Parmi ces personnes âgées, certaines occupent un lit de courte durée à l’hôpital dans l’attente d’un transfert vers une ressource d’hébergement plus adaptée à leurs besoins, à long terme. Le seul fait de maintenir ces personnes en centre hospitalier coûte 65 % plus cher à l’État québécois que leur hébergement en CHSLD, note Mme Leclerc.

Au total, 2352 personnes âgées attendaient au 31 mars 2020 une place permanente en hébergement de longue durée au Québec. Les 2600 places promises par le gouvernement dans les maisons des aînés d’ici l’automne 2022 devraient donc tout juste « couvrir les personnes qui sont en attente », a déclaré Mme Leclerc.

Navigation à vue pour les soins à domicile

Au sujet des soins à domicile, que le gouvernement cherche à favoriser, la VG relève que le ministère de la Santé « n’a pas de description précise de l’évolution prévue du modèle d’offre de services aux aînés en grande perte d’autonomie dans un contexte d’accentuation du virage vers le soutien à domicile, ni de plan d’action qui permettrait de concrétiser sa mise en œuvre ».

En clair, le gouvernement « ne connaît pas les coûts associés au maintien à domicile d’un aîné en grande perte d’autonomie en fonction de sa situation personnelle et du modèle d’organisation des services souhaité. Par conséquent, il n’est pas en mesure de comparer ces coûts avec ceux des différents milieux d’hébergement de longue durée », ajoute Mme Leclerc.

De manière générale, le document de planification ministérielle produit en 2020 par le ministère de la Santé contient des scénarios qui « ne prévoient aucun rattrapage visant à réduire le déficit de services actuel en soutien à domicile ». Ces scénarios ne permettent pas, non plus, de répondre aux besoins des aînés qui auront besoin de soins de longue durée d’ici 2028-2029, et ils sont basés sur une offre de soins largement inférieure à celle requise pour un aîné en grande perte d’autonomie, souligne la VG.

Le rapport de Mme Leclerc révèle par ailleurs que le « coût annuel total moyen » pour un lit en maison des aînés est évalué à 150 000 $ par le gouvernement. Ce coût est supérieur à celui de tous les autres types d’hébergement. À 118 019 $, le « coût annuel total moyen par équivalent-lit » des CHSLD publics est celui qui s’approche le plus du coût estimé pour les maisons des aînés.

Le dernier budget du gouvernement alloue 1,5 milliard sur cinq ans aux maisons des aînés. De 75 millions en 2022-2023, les coûts d’exploitation passeront à 501 millions en 2026-2027. Québec prévoit ouvrir 2640 places dans 33 maisons des aînés d’ici septembre 2022, et 3480 places au total dans 46 maisons d’ici 2023.

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