La réforme de la protection de la jeunesse va bon train, soutient Lionel Carmant

Un an après la conclusion de la commission Laurent sur la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), Québec estime avoir « mis en chantier » les deux tiers des recommandations qui en ont émergé, en plus d’en avoir « rempli » onze. Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, s’imagine mal devoir étirer la mise en œuvre de sa réforme au-delà d’un deuxième mandat caquiste.
« Je l’ai dit et l’ai redit : ce rapport ne sera pas tabletté », lance le ministre responsable de la protection de la jeunesse en entrevue avec Le Devoir.
Il y a douze mois, l’ex-syndicaliste et infirmière Régine Laurent rendait public un volumineux rapport de 552 pages pour mettre un point final aux travaux de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. « Nous devons passer du déni dans lequel nous nous sommes trop longtemps réfugiés à l’aveu que nous n’avons pas pris les moyens suffisants », indiquait-elle le 3 mai 2021, après un chantier long de deux ans.
À Québec, c’est le ministre Carmant qui s’est vu confier la responsabilité de suivre les 65 « recommandActions » disséminées dans le rapport Laurent. Aujourd’hui, la machine est en marche, lance-t-il de son bureau perché dans les hauteurs de l’édifice principal du ministère de la Santé et des Services sociaux, à Québec.
« Il y en a onze qu’on peut considérer comme complétées », évalue l’élu de la Coalition avenir Québec. La création d’un poste de directeur national de protection de la jeunesse en est une. L’élaboration d’un projet de loi permettant d’inscrire dans la loi la primauté du droit de l’enfant en est une autre.
« C’est ce qui est le plus significatif. À l’intérieur d’un an [après le dépôt] du rapport, on a déposé et fait adopter un projet de loi », souligne M. Carmant.
« L’intérêt de l’enfant »
Le 26 avril, le lieutenant-gouverneur Michel Doyon apposait sa signature au bas du projet de loi nº 15 « modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse [LPJ] et d’autres dispositions législatives » et confirmait son entrée en vigueur immédiate, environ cinq mois après la présentation du texte législatif. La nouvelle loi édicte que « l’intérêt de l’enfant est la considération primordiale dans toute décision prise à son sujet ».
Cette modification au préambule de la LPJ est loin d’être anodine, avance le ministre Carmant. « Tout le monde interprétait la Loi à sa façon, fait-il remarquer. [Maintenant], de l’intervenant jusqu’au juge, tout va être décidé pour le bien-être de l’enfant. »
Dans son rapport, Régine Laurent invite justement le législateur à « mettre l’intérêt de l’enfant […] au premier plan ». « Je crois que [Mme Laurent] est contente de la façon dont les choses avancent », soutient M. Carmant, qui dit avoir parlé à la présidente de la Commission il y a quelques semaines.
La soixantaine d’heures d’étude du projet de loi n’aura pas été de tout repos pour les parlementaires. En rejetant au début du mois d’avril un amendement sur les délais de placement chez les Autochtones — qui aurait permis de remplir une autre « recommandAction » —, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux s’est attiré les foudres des groupes d’opposition et de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador.
« Nous perdons espoir », a lancé l’organisme de défense des droits autochtones dans la foulée de la décision. « On voudrait effriter encore davantage la confiance des nations autochtones qu’on n’agirait pas autrement », avait renchéri la députée du Parti québécois Véronique Hivon.
Un mois après l’événement, Lionel Carmant souhaite tendre la main aux nations autochtones. « J’ai bon espoir qu’on va pouvoir trouver des solutions. Cet article, on n’a pas pu s’entendre dessus, mais on a trouvé, j’espère, d’autres voies de passage qui vont nous permettre de nous adapter à la réalité autochtone », affirme-t-il en entrevue.
Des listes toujours longues
En adoptant son projet de loi 15, le ministre estime avoir franchi un premier jalon. Le travail à abattre demeure colossal, souligne-t-il. Sur le terrain, les listes de jeunes en attente de services de la DPJ stagnent à 4249.
« Pour la dernière année, on a encore eu une augmentation d’à peu près 10 % du nombre de signalements par rapport à l’année précédente. Ce qui est beaucoup », indique M. Carmant, selon qui la pandémie a toujours des effets à la DPJ.
Former les intervenants pour qu’ils puissent appliquer la nouvelle Loi sur la protection de la jeunesse devrait permettre de soulager le réseau, lance la directrice nationale de protection de la jeunesse, Catherine Lemay. « D’ici un an, on devrait avoir formé tout le monde », prévoit-elle en entrevue.
Québec estime aussi s’être approché de son objectif en concluant de nouvelles ententes avec les principaux syndicats en protection de la jeunesse. « Depuis notre premier budget, on a 2500 postes pourvus. L’enjeu, c’est qu’on a encore des postes vacants à la DPJ, à peu près 800 », observe le ministre Carmant.
À quelques mois des élections, Lionel Carmant a encore la réforme de la DPJ à cœur. « Je veux continuer, et j’ai l’appui de mon premier ministre, aussi », affirme l’élu de Taillon, qui se représentera pour le scrutin automnal. Dans la mesure où son gouvernement est réélu, il entend compléter sa réforme bien vite.
« [Mme Laurent] nous donnait entre six et dix ans, indique-t-il. Je vois vraiment plus “six ans” que “dix ans”. »