Cinq ans pour rompre avec l’exploration pétrolière

La loi nouvellement adoptée qui interdit l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures en territoire québécois donnera des résultats d’ici cinq ans, selon le ministre de l’Énergie, Jonatan Julien. Tant que l’industrie collabore.
« On ne veut certainement pas reporter ça aux calendes grecques », soutient l’élu de la Coalition avenir Québec en entrevue avec Le Devoir.
Le projet de loi nº 21 « visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités » a obtenu la sanction royale mercredi au bureau du lieutenant-gouverneur. Le texte législatif, adopté somme toute rapidement par les parlementaires, lie les mains des pétrolières, qui devront abandonner leurs claims au Québec et restaurer les puits d’exploration qu’ils y ont creusés.
Concrètement, la loi oblige les entreprises qui détiennent des puits actifs à risque de fuites à les nettoyer, à les sécuriser et à les fermer en douze mois. Les détenteurs de permis dont le puits ne présente pas de menace auront deux ans de plus.
Il y a des articles [dans la loi] qui ont été réfléchis, justement, pour qu’il
n’y ait pas de recours possible
« On a prévu des délais, et, quand on regarde ça à vol d’oiseau, on pense qu’à l’intérieur de cinq ans, ça devrait être réglé. […] On souhaite la collaboration des entreprises, mais c’est assez clair qu’il n’y aura pas beaucoup de place au laxisme », soutient M. Julien dans un entretien téléphonique. Le ministre caquiste ne s’inquiète d’ailleurs pas outre mesure des risques de poursuite contre le gouvernement. La loi est béton, et sa mise en application aura lieu dans les temps, assure-t-il.
« Il y a des articles [dans la loi] qui ont été réfléchis, justement, pour qu’il n’y ait pas de recours possible », souligne M. Julien.
Se protéger des poursuites
Cette semaine, au moment de l’adoption du projet de loi en chambre, l’Association de l’énergie du Québec (anciennement connue sous le nom d’Association pétrolière et gazière du Québec) laissait déjà entendre que toutes les options juridiques étaient sur la table. Son président, Éric Tétrault, estime que les entreprises affectées par le projet de loi passent à côté de plusieurs dizaines, voire des centaines de milliards de dollars en gains potentiels.
Or, certains amendements adoptés à la fin de l’étude du projet de loi pourraient venir mettre des bâtons dans les roues de l’industrie si elle décidait de s’aventurer devant les tribunaux. L’un d’eux prévoit notamment « éviter que des recours ne soient intentés sur la base de l’invalidité » d’une décision visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures.
Un autre article de la loi fait en sorte de retirer aux contestataires le droit de demander des versements en dommages-intérêts. Seul le programme d’indemnités imaginé par Québec donne accès aux compensations.
Le Québec n’est pas étranger aux poursuites de compagnies pétrolières et gazières. En novembre dernier, l’entreprise Gaspé Énergies obtenait gain de cause en Cour du Québec afin que le gouvernement lui procure un permis de forage en Gaspésie, malgré la Loi sur les hydrocarbures, adoptée en 2016. Déposée par le gouvernement libéral de Philippe Couillard, celle-ci interdit techniquement l’exploitation du schiste à moins de mille mètres des cours d’eau.
En modifiant la Loi sur les hydrocarbures à l’aide de son projet de loi 21, le gouvernement du Québec a répondu au jugement de la Cour, qui ne s’applique plus, mais il s’est aussi prémuni contre d’autres décisions de la sorte, indique M. Julien. « Quand [la Loi sur les hydrocarbures] a été adoptée, en 2016, il y a eu des petites lacunes. Ce qui n’est vraiment pas le cas dans la loi qu’on vient d’adopter », assure Jonatan Julien.
Une enveloppe définie
Après deux mois de travail sur le projet de loi 21, les indemnités promises aux pétrolières n’ont pas bougé d’un pouce, soutient le ministre Julien. Les demandes « homériques » de l’industrie ne l’ont pas convaincu. Les exigences « dignes d’une république de bananes » lancées par les groupes environnementaux non plus. De sorte que le ministre s’attend toujours à ce que l’État doive verser « un peu moins de 100 millions de dollars » aux entreprises qui feront appel au programme de compensation.
« Il n’y a pas beaucoup d’ambiguïté. Pour nous, [100 millions], c’est un maximum. »
Quelques jours après l’adoption du texte législatif, M. Julien maintient que son geste va au-delà des symboles, même si aucune activité d’exploration et d’exploitation n’a été recensée au Québec depuis des années. « Il y a des gens qui avaient des ambitions pour exploiter le pétrole au Québec, lance-t-il. Ce qu’on dit, et on est les premiers à réglementer, c’est qu’il n’y en aura pas. »
« Effectivement, si on regarde spécialement la production de gaz à effet de serre au Québec, ça ne change pas grand-chose, mais le signal qu’on envoie est très, très fort. »