Québec promet une vaste réforme du système de santé
Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a donné le coup d’envoi mardi à sa vaste réforme visant à mettre en œuvre les « changements nécessaires pour un réseau plus humain et plus performant ». Il se donne trois ans pour amorcer l’implantation de l’ensemble des mesures citées dans le plan.
Le ministre Dubé fait de l’accès à la première ligne l’une de ses priorités. Le plan présenté en conférence de presse s’inspire des recommandations des commissions Rochon (1998) et Clair (2001), ainsi que des rapports Ménard (2005) et Castonguay (2008).
« C’est fini les rapports. Il faut passer à l’action », a dit le ministre Dubé, accompagné du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant.
Pénurie de personnel, vieillissement de la population, accès aux données… Le plan de quelque 80 pages cible les principaux enjeux auxquels le réseau de la santé est confronté.
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Le ministre Dubé fait de « la meilleure expérience patient » le premier objectif de sa réforme. Son plan souligne que tous les Québécois doivent avoir accès « à un médecin de famille ou à un professionnel de la santé » dans des « délais raisonnables ». Le délai de 36 heures pour obtenir une consultation auprès d’une équipe de soins ne semble plus être la cible ultime de Québec.
Invité à expliquer ce revirement, Christian Dubé a précisé que son gouvernement prône désormais « l’accès adapté », basé sur les besoins du patient. « Quand on dit “délais raisonnables”, on parle soit de 36 heures ou de 72 heures, a précisé le ministre. Mais on peut parler aussi, dans certains cas, de jusqu’à deux semaines, dépendamment de ce que le patient nous dit. » Le délai peut être plus long pour un bilan annuel, a-t-il cité en exemple.
Guichet d’accès pour les orphelins
Le guichet d’accès à la première ligne (GAP), destiné aux patients orphelins, est au cœur de la réforme Dubé. L’initiative a déjà été mise en place au Bas-Saint-Laurent. Là-bas, les citoyens sans médecin de famille peuvent contacter le guichet afin d’être référés au bon professionnel de la santé.
« On s’est engagés dans l’équipe ministérielle à ce que plus de la moitié des Québécois qui sont des patients orphelins puissent passer par le GAP pour avoir accès à un professionnel de la santé d’ici la fin de l’été, a dit Christian Dubé. C’est énorme. »
Quelque 945 000 Québécois figurent sur la liste d’attente du guichet d’accès à un médecin de famille. Pour augmenter leur prise en charge, le ministre de la Santé mise sur l’interdisciplinarité au sein des groupes de médecine familiale (GMF). Il veut également s’attaquer à la rémunération des omnipraticiens et favoriser « une meilleure gestion des horaires des médecins » grâce à l’« accès à certaines données, balisées dans le projet de loi [11] », écrit-on dans le plan.
Le ministre Dubé négocie avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) à ce sujet. Présent lors de la conférence de presse, le président de la FMOQ a signalé que ses membres étaient ouverts à changer leur mode de rémunération. « La capitation [rémunération par forfait plutôt qu’à l’acte], on discute de ça depuis deux ans, a dit le Dr Marc-André Amyot. En Ontario, c’est 85 % en forfait et 15 % à l’acte. On est en train d’évaluer ça. On pense qu’au Québec, ça va être une portion un peu plus importante à l’acte. »
Le président de la FMOQ a insisté que les omnipraticiens « font partie de la solution », tout en rappelant qu’il « manque actuellement 1000 médecins de famille au Québec ». Dans son plan, le gouvernement prévoit un plan de valorisation de la médecine familiale.
Contrer la pénurie de personnel
Le ministre Christian Dubé ambitionne de voir le réseau de la santé « devenir un employeur de choix ». Il réitère son engagement à « éliminer » les heures supplémentaires obligatoires (aussi appelées temps supplémentaire obligatoire, TSO) de la « gestion courante des opérations ». Pour y parvenir, il compte notamment poursuivre sa campagne massive de recrutement et mettre en place « l’autogestion des horaires dans chaque établissement ».
Le Dr François Marquis, qui a assisté à la conférence de presse, estime que l’abolition des heures supplémentaires obligatoires est « un puissant symbole » qui pourrait attirer ou retenir des soignants dans le réseau public. Et pourquoi croit-il en cette énième réforme ? « Ce qui nous aide, c’est la prise de conscience sociétale qu’a été la pandémie, répond le médecin intensiviste. Moi, ça fait une vingtaine d’années que je pratique, j’ai jamais vu ça tout le monde se mettre d’accord sur le fait qu’il fallait dépasser notre petit nombril et tendre la main aux autres pour pouvoir modifier quelque chose profondément. »
Élargir les champs de pratique de divers professionnels de la santé fait partie du plan. « De nombreux ordres professionnels réclament la révision de leurs champs d’exercice et de leurs lois particulières depuis des décennies, signale Gyslaine Desrosiers, présidente du Conseil interprofessionnel du Québec. C’est le moment d’agir ! »
Le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, Benoit Morin, juge que ses membres pourraient en faire plus pour désengorger le réseau. « Actuellement, je peux faire l’ajustement des médicaments pour l’hypertension, le diabète et l’hypothyroïdie, mais je ne peux pas le faire pour le trouble du déficit de l’attention », illustre-t-il.
Des « vœux pieux »
Les syndicats ne partagent pas le même enthousiasme. « C’est plus une liste qu’un plan, pas nécessairement d’échéanciers, pas nécessairement de budget », affirme la présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Caroline Senneville, aussi présente à la conférence de presse. Les CLSC sont à peu près absents [du plan]. La CSN craint le recours accru au privé. Aucune cible n’est fixée à ce sujet dans le plan. « Notre espérance, surtout, c’est que le ministre et le ministère nous parle, dit-elle. On est sur le terrain 24/7. On n’a pas toutes les solutions, mais on a une partie des solutions. »
La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), elle, considère « qu’il y a beaucoup de vœux pieux » dans le plan du ministre qu’elle qualifie d’« ambitieux ». « Le sous-financement des services publics, particulièrement en santé, nous fait dire que, malgré les bonnes intentions du ministre, ce dernier n’a pas les moyens de ses ambitions », déclare son président, Daniel Boyer, par voie de communiqué. La centrale dénonce aussi le recours accru au privé, ce qui contribuera, selon elle, à l’exode des employés du public.
L’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, elle, signale qu’elle suivra « de très près » la mise en place d’un système de maintien à domicile pour les aînés afin de s’« assurer qu’un financement dédié se rende véritablement dans ces services ». Quant à l’Association des ressources intermédiaires (RI) d’hébergement du Québec, elle dénonce le fait que les RI, des partenaires du réseau, ne sont « nulle part » dans le plan.
L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec juge pour sa part que le plan Dubé « réserve une place trop ténue aux services sociaux généraux et à la prévention ». Dans un communiqué, son président salue la mise en œuvre des recommandations de la commission Laurent. Mais il déplore que les citoyens doivent être « en crise ou en situation d’extrême vulnérabilité pour recevoir des services sociaux en continu ».
Dix mesures phares du plan Dubé
Implantation du guichet d’accès à la première ligne à la grandeur du Québec
Élimination du temps supplémentaire obligatoire
Meilleure organisation du travail pour offrir de meilleures conditions d’exercice aux soignants
Élargissement des champs de pratique des professionnels de la santé
« Apport accru » du privé pour réduire les listes d’attente en chirurgie, entre autres
Virage vers les soins à domicile
Rénovation de CHSLD ainsi que construction de maisons des aînés et d’hôpitaux
Maintien du service de télésanté
Accès complet aux données de santé pour les citoyens, les gestionnaires du réseau et les chercheurs
Décentralisation du système de santé et des services sociaux