Des attentes élevées sur le plan climatique

Des organismes environnementaux craignent que le « budget vert » de la Coalition avenir Québec (CAQ) déposé il y a deux ans n’ait été qu’une repousse rabougrie dans un bilan environnemental désertique. L’exercice du 22 mars prochain teintera le premier mandat de l’équipe Legault, affirment-ils.
Le 10 mars 2020, le ministre des Finances, Eric Girard, déposait le deuxième cadre financier de son mandat. L’épais document affichait vite ses couleurs : il faut « bâtir une économie verte », pouvait-on lire au deuxième chapitre du Budget du Québec 2020-2021.
En prévoyant des « sommes records »de 6,7 milliards de dollars pour présenter son plan de lutte contre les changements climatiques, le Québec « se donne les moyens financiers pour atteindre [sa] cible » de réduction des gaz à effets de serre, fixée à -37,5 % d’ici 2030, claironnait alors l’élu caquiste.
« Mais force est de constater que le virage que la CAQ a entamé est timide, souligne le responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada, Patrick Bonin, deux ans plus tard. Je dirais même qu’il est cosmétique. »
Le budget 2020 visait à tracer la voie environnementale du gouvernement de François Legault pour les années à venir. Sur l’ensemble des sommes mises en réserves, plus de 6 milliards étaient prévus pour financer les mesures du plan climatique de la CAQ, le Plan pour une économie verte (PEV).
« On sent qu’il y a quand même du chemin qui a été fait depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement », observe la directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard. Sans la « prise de conscience » générée selon elle par la mobilisation climatique de l’automne 2019 — la marche du 27 septembre au premier chef —, le retard se serait accumulé, analyse-t-elle.
« C’est un parti qui n’avait presque rien dans sa plateforme électorale en matière d’environnement », ajoute Mme Simard.
Les moyens de ses ambitions
Face aux mastodontes de la Santé et de l’Éducation, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) fait historiquement figure de portefeuille de second rang au sein de l’État québécois. En 2020-2021, son budget des dépenses gonflait d’environ 30 %, mais continuait de représenter moins de 1,5 % des coffres du Québec.
Dans le budget suivant, déposé en mars 2021, la part du MELCC dans le budget du Québec a de nouveau grimpé de quelques points de pourcentage. Les investissements en matière de lutte contre le dérèglement du climat ont cependant stagné.
L’heure n’est plus à l’attentisme, martèle Patrick Bonin, qui demande à Québec de se « retrousser les manches » et de continuer d’investir dans les efforts climatiques. « Ce que la CAQ prévoit en ce moment, c’est un demi-plan de lutte contre les changements climatiques », lance-t-il en référence au PEV du ministre de l’Environnement, Benoit Charette. Celui-ci prévoit pour le moment la moitié des mesures nécessaires à la réalisation des objectifs verts du Québec.
En février, Québec solidaire exigeait de la CAQ qu’elle profite du dernier budget de son mandat pour déposer le budget « le plus vert de l’histoire du Québec ». « C’est de ça qu’on a besoin », lançait en période des questions le co-porte-parole du parti de gauche, Gabriel Nadeau-Dubois.
« En 2022, on a les deux pieds dans la crise climatique, et l’environnement, ça ne fait toujours pas partie des priorités budgétaires de la CAQ », ajoutait-il entre les murs du Salon bleu.
Dans l’axe de l’« électrification »
Il est encore tôt pour évaluer l’impact du budget 2020 de la CAQ. Selon le ministère de l’Environnement, la « presque totalité des sommes » prévues pour l’année financière 2020-2021 a été dépensée, « à l’exception de deux mesures totalisant 22 millions » dont le déploiement a été reporté. Pour l’année suivante — 2021-2022 —, aucun moyen de savoir si les sommes sont arrivées sur le terrain : « Un bilan détaillé suivra à l’automne après la fermeture de l’année financière », s’est contenté de dire la relationniste au MELCC, Caroline Cloutier.
Dans son « budget vert », Québec prévoyait 1,4 milliard de dollars pour le programme de subventions à l’achat de véhicules électriques « Roulez vert ». Plus de 53 000 personnes y ont fait appel depuis, a indiqué au Devoir le ministère de l’Environnement. Québec souhaite voir 1,5 million de voitures zéro émission sur ses routes en 2035, et interdire l’achat de véhicules à émissions cinq ans plus tard.
« Tout ça reste une question d’économie et d’électrification pour le gouvernement Legault, alors que c’est une question beaucoup plus large. Il faut restructurer la société dans son ensemble : les transports, l’industrie, l’alimentation, l’agriculture, la foresterie, l’aménagement urbain. Ce n’est pas seulement en ayant une politique d’électrification que le Québec va être à la hauteur », avance Patrick Bonin.
Cette semaine, la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal publiait un rapport accablant au sujet de l’ancien « plan vert » québécois, le Plan d’action sur les changements climatiques 2013-2020. Selon ses experts, cette stratégie — qui a précédé le PEV — n’a permis de réduire les émissions de gaz à effets de serre que de 1,78 million de tonnes sur sept ans.
La Chaire calcule que le gouvernement a effectué des dépenses de 5,8 milliards de dollars sur cette période, environ 900 millions de dollars de moins que ce qui est prévu pour le moment au PEV de Benoit Charette.
Les solutions existent, le gouvernement les connaît très bien. Mais il choisit toujours de se tourner vers l’électrification. L’économie est repartie : il faut arrêter de subventionner l’expansion du réseau gazier. Et on veut qu’au moins 1 % du budget aille dans les infrastructures vertes.
Patrick Bonin exhorte Québec à imposer davantage de « mesures coercitives ». « Ce qu’il faut, c’est une taxe à l’achat de véhicules énergivores neufs et des rabais à l’achat de véhicules écoénergétiques », souligne-t-il. Les investissements dans le transport en commun doivent aussi équivaloir à l’argent qui se retrouve dans le transport routier, propose-t-il.
Chez Nature Québec, Alice-Anne Simard demande au gouvernement Legault de retirer ses « œillères » en matière climatique. « Les solutions existent, le gouvernement les connaît très bien. Mais il choisit toujours de se tourner vers l’électrification », lance-t-elle.
« L’économie est repartie : il faut arrêter de subventionner l’expansion du réseau gazier. Et on veut qu’au moins 1 % du budget aille dans les infrastructures vertes », poursuit-elle.
Loin du compte
Deux ans après son budget vert, le gouvernement est à la croisée des chemins. Lors de son dernier bilan climatique, le ministère de l’Environnement annonçait qu’en tout près de 30 ans, le Québec a réduit ses émissions de 2,7 %. Il devra plus que décupler la mise pour espérer atteindre ses cibles chiffrées en 2030.
« Ça fait mal, a convenu le ministre Charette en décembre dernier. La marche était déjà très haute, elle l’est d’autant plus maintenant. »
Selon l’élu caquiste, il faudra attendre quatre ou cinq ans pour observer les retombées de la mobilisation climatique qu’il a entamée. Entre-temps, M. Charette s’attend « à ce qu’il y ait une certaine stabilisation, possiblement une augmentation » des émissions.
Patrick Bonin tourne les yeux vers le budget 2022-2023 que déposera mardi Eric Girard. « Ça prend un signal fort », dit-il.