Québec financera la restauration des puits pétroliers et gaziers

Le gouvernement Legault financera 75% des coûts de restauration des puits de gaz de schiste forés au Québec.
Photo: Alexandre Shields Archives Le Devoir Le gouvernement Legault financera 75% des coûts de restauration des puits de gaz de schiste forés au Québec.

Le gouvernement de François Legault s’attend à devoir payer près de 100 millions de dollars pour permettre au Québec de rompre pour de bon avec l’aventure pétrolière et gazière. Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, a déposé mercredi le projet de loi 21, qui doit concrétiser la fin de la recherche d’hydrocarbures en territoire québécois.

C’était un engagement. En octobre, le premier ministre Legault profitait de son discours d’ouverture à l’Assemblée nationale pour annoncer que les entreprises qui détiennent des permis d’exploration au Québec devraient bientôt dire adieu à leur aventure pétrolière et gazière. « Le Québec doit résolument prendre le chemin d’une économie verte », avait-il dit.

Après avoir repoussé le dépôt de sa mesure législative en raison de la « complexe » question des compensations accordées à l’industrie, le ministre Julien n’a pas attendu bien longtemps après le retour des Fêtes. Il a présenté son projet de loi au deuxième jour de la session parlementaire, la dernière avant les élections.

Restaurer les puits

 

Si elle est adoptée, la mesure révoquera l’ensemble des 182 permis pétroliers et gaziers détenus par l’industrie au Québec, qui couvrent toujours plus de 32 000 km2 de territoire. Elle forcera également les entreprises qui possèdent des puits d’exploration à les fermer et à les restaurer, mais en bonne partie aux frais de l’État. Le gouvernement Legault prévoir en effet financer 75 % des coûts de restauration des puits forés au cours des dernières années, dont une trentaine de puits de gaz de schiste.

Avec son projet de loi 21, M. Julien confirme aussi les intentions de la Coalition avenir Québec de payer aux détenteurs de permis le coût de la licence et du maintien des puits. « On n’est pas une république de bananes », a déjà affirmé le ministre Julien en entrevue. Si bien qu’« un peu moins de 100 millions de dollars », un montant « raisonnable » à ses yeux, devrait aboutir dans les poches de la dizaine d’entreprises qui détiennent toujours des permis, a-t-il évalué mercredi.

182
C’est le nombre de permis pétroliers et gaziers détenus par l’industrie qui pourraient être révoqués si la mesure législative est adoptée.

De ce total, environ 33 millions devraient servir à payer les coûts de restauration des quelque 60 puits pétroliers et gaziers forés au Québec, principalement en Gaspésie et dans la vallée du Saint-Laurent. Ce montant s’ajoutera aux dizaines de millions de dollars que l’État québécois devra débourser pour fermer et restaurer au moins 95 puits pétroliers et gaziers abandonnés. Le gouvernement ignore pour le moment le montant de cette facture.

Par ailleurs, dans les derniers mois, des compagnies pétrolières ont évoqué des compensations de plusieurs centaines de millions, voire de plusieurs milliards de dollars, pour les éventuels profits perdus dans cette entreprise avortée. Selon le président de l’Association de l’énergie du Québec (AEQ), Éric Tetrault, le gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent pourrait représenter des « profits perdus » de « 3 à 5 milliards de dollars ». Et déjà, trois entreprises ont intenté des actions en justice contre le gouvernement en raison du blocage de leurs projets.

« Certains prétendent — et c’est un peu des récits homériques — que le potentiel, c’est des milliards de dollars, a observé mercredi le ministre Julien, en conférence de presse. Je veux être bien clair ici : le projet de loi ne prévoit aucun dédommagement qui serait donné pour la perte de revenus ou de profits d’une exploitation hypothétique. »

En plus des sommes prévues par le projet de loi, le gouvernement du Québec a déjà injecté pas moins de 120 millions de dollars au cours de la dernière décennie, afin de stimuler le développement de l’industrie pétrolière et gazière au Québec, dont 92 millions de dollars dans le projet Hydrocarbures Anticosti.

Le « loup » et la « bergerie »

Mercredi, la cheffe libérale, Dominique Anglade, avait exhorté le gouvernement caquiste à offrir des sommes qui « tendent » au possible « vers zéro ». Québec solidaire et le Parti québécois avaient réitéré leur désir qu’aucune indemnisation ne soit versée.

« Ces loups-là tournent autour de la bergerie depuis toujours. D’ailleurs, avec M. Julien comme berger, je ne suis pas surprise qu’ils fassent monter les enchères », avait indiqué la co-porte-parole solidaire, Manon Massé.

Dans une réaction unanime, les groupes écologistes ont eux aussi exhorté le gouvernement à fermer la porte à toutes compensations financières. « C’est à l’industrie de payer pour réparer ses pots cassés. Financer la fermeture des puits à hauteur de 75 % pourrait s’avérer être un gouffre sans fond pour le gouvernement », a résumé le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin.

En 2011, le gouvernement de Jean Charest avait adopté une législation afin d’annuler les permis d’exploration dans le fleuve et dans l’estuaire du Saint-Laurent. Celle-ci précisait qu’il n’y aurait « aucune indemnité » versée aux entreprises, ce qui a été le cas.

« Non, on doit rembourser ces frais-là, a rétorqué le ministre en fin de matinée. On retire des droits, et qui ont été obtenus, à l’époque, dans le respect du cadre légal. »

Réagissant par voie de communiqué, l’Association de l’énergie du Québec (AEQ) a dénoncé le projet de loi présenté mercredi. « L’industrie est présente depuis 1988 au Québec. Les investissements remontent à plus de 30 ans », a souligné M. Tetrault. « Dans ces conditions, l’AEQ parle davantage de confiscation que de compensation », a-t-il ajouté.

L’organisation demande au gouvernement d’autoriser la gazière albertaine Questerre Energy à déroger à l’interdiction de l’exploration gazière dans la vallée du Saint-Laurent en réalisant un projet de production de gaz naturel sans émissions de gaz à effet de serre dans la région de Bécancour.

Se protéger

 

En novembre, Québec perdait une première manche juridique contre l’entreprise Gaspé Énergies, qui lui reproche de l’empêcher d’exploiter un gisement près de Gaspé. « Clairement, l’éventualité [d’une exploitation] est ouverte si on ne vient pas réglementer de manière formelle et forte », a indiqué le ministre Julien, mercredi.

Le projet de loi 21 doit redonner à l’État les outils pour « protéger le milieu hydrique », a-t-il poursuivi. Aura-t-il un impact sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Si oui, M. Julien n’a pas pu le chiffrer précisément.

« Actuellement, on consomme du gaz et du pétrole qui proviennent de l’Ouest canadien et des États-Unis, a-t-il convenu. Alors, au net, la réduction de GES, ça passe par une électrification des transports et ça passe également par l’hydrogène vert, ça passe par la décarbonation, puis la réduction de l’énergie fossile. »

La mesure législative caquiste ne prévoit pas interdire le transport d’hydrocarbures en territoire québécois.

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