Québec repousse la sortie des projets d’hydrocarbures

La fin des activités gazières et pétrolières au Québec devra attendre. Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, a convenu jeudi que son projet de loi pour mettre un terme à la filière des hydrocarbures ne serait déposé que l’an prochain, en raison de difficultés à établir les compensations qui seront versées à l’industrie.
« On a retourné toutes les pierres pour s’assurer du caractère adéquat des compensations, a signifié l’élu de la Coalition Avenir Québec lorsqu’abordé par Le Devoir dans les minutes suivant la période des questions à l’Assemblée nationale. [Ça] fait en sorte qu’on n’est pas capable de le déposer cette session. »
Dans son discours d’ouverture, en octobre dernier, le premier ministre François Legault annonçait en grande pompe que son gouvernement interdirait rapidement l’exploration pour des hydrocarbures en territoire québécois. En entrevue avec Le Devoir dans les jours suivants, le ministre Julien avait dit souhaiter une modification à la loi d’ici la fin de l’année 2021. En novembre, le gouvernement Legault a par ailleurs profité de la COP26 pour se rallier à la Beyond Oil & Gas Alliance, une coalition intergouvernementale visant à concrétiser la sortie des hydrocarbures.
Or, le règlement parlementaire établit qu’il faut avoir inscrit un projet de loi à l’ordre du jour au moins un jour avant de le déposer. Jeudi, à la veille de la fin des travaux pour 2021, le projet de loi du gouvernement sur les hydrocarbures brillait par son absence.
La mesure législative arrivera « au début de la prochaine » session, a assuré M. Julien, mardi. « On veut avoir un projet de loi achevé, a poursuivi l’élu. On est sur le bord de pouvoir le déposer. Rapidement au retour des Fêtes. »
« Complexe »
La session parlementaire d’hiver s’amorce au début du mois de février. D’ici là, Québec veut avoir réglé les articles relatifs à la compensation du texte législatif. À plusieurs reprises, le gouvernement Legault a soutenu qu’il devrait délier les cordons de la bourse pour indemniser les pétrolières.
« La complexité de ces éléments-là nécessitait des analyses des scénarios et des impacts que ça avait. Il y a l’aspect juridique aussi… », a affirmé M. Julien.
Le député péquiste Sylvain Gaudreault « pense que le gouvernement se trompe » en s’aventurant sur la voie des compensations. Selon une analyse du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), le gouvernement pourrait légiférer de manière à éviter de donner un seul sous aux entreprises pétrolières et gazières. Il suffit « d’exprimer clairement son intention » dans un projet de loi.
Tour à tour cette session, Québec solidaire et le Parti québécois ont déposé des textes législatifs sur l’arrêt des hydrocarbures. Chacun comptait un article en ce sens. « Le gouvernement a déjà ce pouvoir-là en matière environnementale depuis 2017, a constaté Sylvain Gaudreault, jeudi. Plus il attend, plus l’industrie fourbit ses armes. Alors, je pense que le gouvernement devrait aller rapidement. »
En 2011, le gouvernement libéral de Jean Charest a agi de la sorte en adoptant la Loi limitant les activités pétrolières et gazières, qui a eu pour effet d’annuler les permis d’exploration dans le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent. Le gouvernement du Canada est toutefois ciblé depuis 2012 par une action en justice intentée par l’entreprise américaine Lone Pine Resources, à la suite de l’adoption de cette législation. Celle-ci réclame 150 millions de dollars, en vertu des règles de libre-échange nord-américain.
La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, s’étonne que Québec ait reporté à 2022 le dépôt de son projet de loi, dans un contexte où le gouvernement a vanté son abandon du pétrole et du gaz à la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques. « Ils se sont pété les bretelles, a-t-elle illustré au bout du fil. Attendre, c’est continuer d’envoyer le message aux pétrolières qu’elles peuvent éventuellement faire des gains. »
Appel à la réflexion
Pour Éric Tétrault, président de l’Association de l’énergie du Québec (AEQ), qui représente des entreprises pétrolières et gazières détenant des permis d’exploration, le gouvernement doit prendre le temps de réfléchir avant de fermer la porte à l’industrie. Il dit craindre « les répercussions » dans l’ensemble de l’industrie au Québec. « Si j’étais un dirigeant minier, je me demanderais immédiatement si mon tour s’en vient. Racheter des titres constitue un dangereux précédent pour eux. »
Selon M. Tétrault, en agissant de la sorte, « le Québec risque de s’aliéner pour de bon de grands partenaires commerciaux comme l’Alberta », et ce, alors que les citoyens seraient ouverts à l’idée de projets pour tester « de nouvelles technologies » pour l’exploitation gazière, selon un sondage mené par l’AEQ.
Le président de Ressources Utica, Mario Lévesque, n’a pas souhaité commenter jeudi le report du dépôt du projet de loi du ministre Jonathan Julien. Chose certaine, des entreprises s’apprêtent déjà à réclamer des millions de dollars, voire des milliards. C’est le cas de Ressources Utica, une entreprise contrôlée par des actionnaires autrichiens. Celle-ci a mis la main sur plusieurs permis délaissés par d’autres entreprises, si bien qu’elle contrôle aujourd’hui 29 permis, totalisant environ 4400 km2 dans les basses terres du Saint-Laurent et en Gaspésie.
Selon ce que précisait cet automne son président, Mario Lévesque, dans une réponse écrite au Devoir, la valeur des actifs s’élèverait à « plusieurs milliards de dollars ». Un avis partagé par Éric Tétrault, qui estime qu’à lui seul, le gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent pourrait représenter des « profits perdus » de « 3 à 5 milliards de dollars ».
Puits à décontaminer
En plus de compenser les entreprises, le gouvernement du Québec doit nettoyer et décontaminer les puits pétroliers et gaziers abandonnés au Québec. Or, comme le révélait Le Devoir en novembre, il est impossible, à l’heure actuelle, d’obtenir une évaluation précise des coûts de décontamination des puits d’exploration qui sont à la charge de l’État
Selon les données du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), 534 puits « inactifs » ont été localisés depuis 2018, et 241 autres n’ont pas été retrouvés, malgré les inspections menées par le ministère. De ce nombre, 209 sont considérés comme « non localisables ».
Parmi les puits inactifs localisés, le MERN évalue que 95 nécessiteront des « travaux », par exemple pour stopper des fuites de gaz naturel ou de pétrole. Or, la seule liste comportant une évaluation des coûts de restauration par puits date du 31 mars 2020. Elle compte seulement 30 puits inscrits au « passif au titre des sites contaminés » (PTSC), soit moins du tiers des puits qui sont officiellement à restaurer. Le montant estimé pour ces 30 puits totalise 54 millions de dollars.