Le pouvoir discrétionnaire de Fitzgibbon en cause dans 10 prêts problématiques

Le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour accorder 68 millions de dollars d’aide financière à des entreprises ne respectant pas les critères d’un programme mis en place à cause de la pandémie, constate un rapport rendu public mercredi.

Dix prêts problématiques ont ainsi été accordés durant la période allant de mars 2020 à mars 2021, examinée par l’équipe de la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc.

Un des critères d’admissibilité exigeait que les entreprises soient rentables avant la pandémie. Ce critère n’a pas été respecté dans au moins six des dix prêts examinés par l’audit.

Investissement Québec (IQ) était le mandataire du gouvernement pour le Programme d’action concertée temporaire pour les entreprises (PACTE), qui avait pour objectif d’aider les entreprises à maintenir leur fonds de roulement pendant la pandémie.

Selon le rapport de vérification, des entreprises dont la demande avait été rejetée par un bureau régional d’IQ ont obtenu une réponse positive après s’être adressées à d’autres unités d’IQ, soit les services du Financement spécialisé et des Comptes majeurs.

Dans une conférence de presse qui a suivi le dépôt de son rapport à l’Assemblée nationale, Mme Leclerc a expliqué que M. Fitzgibbon s’était prévalu des dispositions d’un guide de gestion interne prévoyant qu’il peut « ajuster les modalités et autoriser des prêts selon les besoins des dossiers ».

« Je ne le sais pas, s’il y a eu favoritisme ou pas, a dit Mme Leclerc. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a 10 entreprises qu’on a trouvées qui ne répondaient pas aux critères qui avaient été rendus publics. »

Pour prendre ses décisions, M. Fitzgibbon s’est appuyé sur des analyses des services du Financement spécialisé et des Comptes majeurs selon lesquelles il devait leur accorder des prêts parce qu’elles étaient « jugées stratégiques pour l’économie du Québec ».

Mme Leclerc a affirmé qu’elle avait été incapable d’obtenir les critères permettant de déclarer qu’une entreprise était aussi importante. « Pour juger si c’était une entreprise qui était stratégique, j’aurais voulu avoir des critères de c’est quoi une entreprise stratégique, a-t-elle dit. Alors sans critères, ça devient difficile de juger. »

L’équipe de vérificateurs de Mme Leclerc a examiné 22 prêts octroyés dans le cadre du PACTE. Plusieurs éléments problématiques ont été relevés dans dix cas. Une entreprise a obtenu de l’aide pour appuyer sa croissance et non pour faire face à la pandémie. Un deuxième prêt visait à financer des dépenses en immobilisations qui n’étaient pas admissibles au PACTE.

En plus de six entreprises qui ont été aidées alors qu’elles n’étaient pas rentables avant la pandémie, deux ont obtenu du financement sans démontrer leur rentabilité future.

M. Fitzgibbon s’est défendu d’avoir outrepassé les critères prévus. « Je suis très content du gouvernement, je pense que nous avons été très bons pour les entreprises », s’est-il félicité.

Le ministre a plaidé que le gouvernement québécois devait être flexible, car les aides mises en place rapidement ne pouvaient pas prévoir tous les cas de figure. « Les gens qui connaissent le domaine du prêt vont comprendre que c’est impossible de tout normer », a-t-il soutenu.

M. Fitzgibbon a admis que le taux de faillite des entreprises ayant bénéficié du PACTE, qui est actuellement de 0,5 pour cent, augmentera. « On a un taux qui est excessivement bas, mais ça va augmenter. Il y a des gens qui ne pourront pas payer », a-t-il dit.

Au 31 mars 2021, 1076 entreprises avaient reçu 850 millions de dollars du PACTE.

La porte-parole péquiste en matière d’économie, Méganne Perry Mélançon, a demandé au ministre de faire la lumière sur tous les prêts accordés. « S’il n’y a pas de favoritisme, il va falloir qu’on nous l’explique et qu’on nous en assure, de ça », a déclaré la députée en point de presse.

De son côté, M. Fitzgibbon a assuré qu’il n’avait aucun intérêt personnel dans ces entreprises, sans toutefois exclure la possibilité de liens avec des dirigeants. « C’est sûr que je connais des gens, je connais tout le monde », a-t-il affirmé.

IQ, qui a refusé de nommer les 10 entreprises, a objecté que M. Fitzgibbon n’avait usé d’aucun pouvoir discrétionnaire puisque ses décisions s’appuyaient sur des analyses. « Nous ne divulguons pas le nom des entreprises visées par les prêts auxquels réfère la vérificatrice générale, pour des raisons de confidentialité », a expliqué la porte-parole Isabelle Fontaine.

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