L’ex-ministre de la Santé Jean Rochon est décédé à l’âge de 83 ans

Architecte d’une des plus importantes réformes du système de santé et du virage ambulatoire, l’ex-ministre de la Santé, Jean Rochon, a laissé une marque indélébile sur ce vaste réseau et posé des jalons aujourd’hui déterminants dans l’amélioration de l’état de santé des Québécois.
À l’annonce de son décès, à 83 ans, plusieurs personnalités politiques et ex-collègues ont ainsi résumé, mardi, les nombreuses réalisations accomplies par ce diplômé en santé publique de l’Université de Harvard (1973), devenu ministre de la Santé, entre 1994 et 1998, au sein du cabinet de Jacques Parizeau, puis de Lucien Bouchard.
C’est après avoir présidé la célèbre Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, lancée à l’été 1985, que Jean Rochon a choisi de sauter dans l’arène politique, résolu à mettre en pratique l’essentiel des recommandations prônées pour améliorer le système de santé et éviter sa banqueroute.

« C’est pour ça qu’il s’est lancé en politique. Il espérait avoir les coudées franches pour mettre cela en œuvre. On l’a ensuite blâmé, mais on ne lui a pas toujours permis de faire ce qui devait être fait », estime l’ex-député péquiste et collègue Jean-Pierre Charbonneau.
En effet, l’architecte de la « réforme Rochon » souhaitait réaliser un virage ambulatoire au sein du système de santé québécois, en redirigeant une part des budgets concentrés dans les hôpitaux vers les CLSC, les CHSLD et autres services de première ligne. Mais son programme a été rapidement mis à mal par la politique d’austérité budgétaire instaurée en 1996 par le premier ministre Lucien Bouchard.
« Il a été le premier à faire le constat que nous avions un système “hospitalocentriste” et que les médecins faisaient défaut dans la première ligne », croit David Levine, ex-directeur de CLSC et ex-p.-d.g. de la Régie régionale de la Santé et des services sociaux de Montréal.
Une réforme et ses embûches
En cours de route, l’objectif premier de la réforme Rochon, diminuer le nombre de lits dans les hôpitaux pour offrir davantage de soins ambulatoires et à domicile, a été compromis. Privé de budgets, ce virage vers les soins de proximité sera escamoté. Rapidement, le ministre se retrouve sous les tirs de l’opposition, des syndicats et des corporations médicales, opposés aux compressions de plusieurs milliards assénées pour répondre au dogme du « déficit zéro », rappelle Jean-Pierre Charbonneau.
« Il évitait de se mêler au débat partisan, les joutes politiques n’étaient pas sa tasse de thé. Or, le ministre le plus interpellé à la Chambre, c’est celui de la Santé ! » ajoute-t-il.
Malgré les écueils rencontrés par sa réforme, le ministre Rochon parvient, en 1996, à sceller la fusion des hôpitaux universitaires, une étape majeure dans la consolidation du réseau hospitalier québécois, et à instaurer un régime public d’assurance médicaments. Il crée ensuite l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et l’organisme d’approvisionnement en produits sanguins Héma-Québec. En 1998, il fait adopter une loi réglementant la consommation de tabac, alors que près de 37 % des jeunes sont fumeurs. En 2020, la proportion de jeunes fumeurs ou vapoteurs oscillait entre 15 et 18 %. Après des années de débats acrimonieux, il donnera aussi un cadre légal à la profession de sage-femme.
À quelques mois des élections, le premier ministre Lucien Bouchard lui retire toutefois le ministère de la Santé, pour lui confier celui de la Recherche, de la Science et de la Technologie. En 2001, il sera successivement ministre d’État au Travail, à l’Emploi et à la Solidarité sociale. « Il avait choisi de ne pas démissionner et a dû plier sur plusieurs de ces principes. Mais c’était quelqu’un de digne, un homme sans aucune arrogance », rappelle Jean-Pierre Charbonneau.
« Pas d’amertume »
Tenu davantage pour un gentleman qu’un politicien bagarreur, Jean Rochon laisse derrière lui l’image d’un homme de convictions, mu d’abord par le souci d’améliorer l’équité et la santé de la population.
« Il n’avait pas d’amertume de son passage en politique. Il était bon joueur. Même à la barre du ministère de la Recherche, ou du Travail, il a continué d’être habité par des valeurs d’équité sociale », affirme le Dr Réjean Hébert, aussi ex-ministre de la Santé, sous Pauline Marois. Il décrit celui qui l’avait conseillé avant d’aller en politique comme son mentor et un « grand homme de santé publique ». « Plusieurs générations de médecins en santé publique sont aujourd’hui en deuil », dit-il.

Peu flamboyant, discret, Jean Rochon était un homme de connaissances qui, insiste le Dr Réjean Hébert, a continué de contribuer au transfert des connaissances dans les milieux de soins, même après avoir quitté la vie politique.
Né à Montréal en 1938, Jean Rochon a reçu plusieurs hautes distinctions au cours de sa carrière, dont le prix R. D. Defries en 1994, remis par l’Association canadienne de santé publique pour saluer sa contribution exceptionnelle à l’avancement de la santé publique, et il a été décoré de l’Ordre national du Québec en 2015.
Mardi matin, le premier ministre François Legault a déclaré sur Twitter : « Quelle triste nouvelle. C’était un homme gentil et brillant. » La cheffe libérale Dominique Anglade a elle aussi décrit l’ancien ministre comme un « passionné du Québec », alors que le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, l’a qualifié d’« homme marquant de la politique québécoise ».
Une version précédente de ce texte mentionnait que Jean Rochon a été le professeur de santé publique, à l’Université Laval, du Dr Réjean Hébert. Elle a été corrigée.