Marie Grégoire prend les rênes de BAnQ

Le gouvernement de François Legault confie les rênes de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) à Marie Grégoire. La communicatrice, entrepreneuse, gestionnaire — et ex-députée adéquiste (2002-2003) — assumera les responsabilités de présidente-directrice générale de la plus importante institution culturelle du Québec à compter du 9 août prochain, a tranché le Conseil des ministres mercredi. Une nomination qui a suscité son lot de réactions mitigées.

Marie Grégoire s’est aussitôt confié la « mission » de « travailler […] pour protéger et partager notre culture, notre savoir et notre histoire » de concert avec « tous les acteurs de la nation québécoise », à commencer par les employés de BAnQ. « Les défis abondent, mais avec le savoir-faire de BANQ, du CA et du ministère, l’ambition est possible », a-t-elle gazouillé mercredi soir.

La course à la succession de Jean-Louis Roy, p.-d.g de 2018 à 2021, a suscité un véritable engouement. En effet, le ministère du Conseil exécutif (MCE) a reçu pas moins d’une vingtaine de dossiers de candidature, dont celui de Marie Grégoire. Dès le départ, l’équipe de François Legault affichait un préjugé favorable à l’égard de la membre fondatrice de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et du Club des ex de RDI.

La ministre de la Culture, Nathalie Roy, soutient avoir suivi la recommandation du conseil d’administration de BAnQ en demandant à Marie Grégoire d’occuper le poste de p.-d.g., qui était vacant depuis le départ de M. Roy le 3 juin dernier. Six semaines ont suffi au conseil d’administration pour rencontrer quatre aspirants p.-d.g. — dont l’ex-journaliste, conseillère municipale et ambassadrice du Canada à l’UNESCO Élaine Ayotte, la bibliothécaire en chef de l’Université Concordia, Guylaine Beaudry, et Marie Grégoire — et faire part de sa ou de ses préférences au Secrétariat aux emplois supérieurs.

La porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture, Christine St-Pierre, a salué mercredi soir la désignation de Marie Grégoire, « une femme qui a de grandes qualités » et « beaucoup d’expérience en marketing et en communication », à la tête de BAnQ. « On jugera l’arbre à ses fruits », a ajouté l’élue libérale, citant saint Matthieu. Marie Grégoire devra s’acquitter de la tâche de faire entrer « BAnQ dans la modernité », notamment en donnant un coup d’accélérateur à la numérisation de sa collection, mais sans, par exemple, fermer les centres d’archives régionaux, a soutenu l’ex-ministre libérale de la Culture.

Photo: Twitter Image extraite du compte Twitter de Marie Grégoire

Le député péquiste Pascal Bérubé a quant à lui dit trouver « surprenant que parmi toutes les candidatures reçues, il n’y avait personne de plus qualifiée et qui répondait aux attentes des acteurs du milieu qu’une fondatrice de l’ADQ proche de la CAQ ». À ses yeux, il s’agit ni plus ni moins que d’une « nomination partisane faite en catimini juste avant le début des vacances ».

Pour la spécialiste en bibliothéconomie Marie D. Martel, Mme Grégoire « n’est pas la personne avec les qualifications et le leadership attendus ». « La ministre a fait un choix partisan plutôt que rationnel, qui aurait dû être basé sur une appréciation juste des missions de BAnQ et des défis considérables qu’elle doit affronter aujourd’hui », estime la professeure de l’Université de Montréal.

L’économiste de la culture Ianik Marcil critiquait aussi la nomination du Conseil des ministres mercredi soir. « BAnQ est une institution de très haut niveau, c’est la mémoire du Québec et c’est extrêmement important, a-t-il affirmé en entrevue. La personne qui la dirige a une responsabilité énorme et il lui faut deux bras : un bras purement culturel — en tout respect, je ne vois pas comment le parcours de Mme Grégoire l’aurait mise au fait de ces enjeux culturels, qui sont extrêmement complexes. D’autre part, il faut un bras économique, en gestion. On parle d’une institution de 700 employés, 12 établissements, qui fait affaire avec 2500 partenaires gouvernementaux. Je ne vois pas l’expertise de Mme Grégoire à ce niveau. » Pour celui qui est aussi auteur, « gérer un organisme public, c’est une autre paire de manches que l’expérience du privé qu’a Mme Grégoire. Il y a des enjeux de reddition de compte par rapport à la société même. Quand on pense à Lise Bissonnette ou à Jean-Louis Roy qui l’ont précédée, on voit qu’elle a de grandes chaussures à chausser. »

BAnQ est une institution de très haut niveau, c’est la mémoire du Québec et c’est extrêmement important

 

Patrick Poirier, directeur des Presses de l’Université de Montréal, a, lui, simplement qualifié sur les réseaux sociaux la décision « d’erreur de jugement » et de pathétique.

Quelle marge de manœuvre ?

La tâche s’annonce difficile pour Marie Grégoire. BAnQ a pris du retard pour opérer son virage numérique par rapport aux grandes bibliothèques du XXIe siècle. L’ex-grand patron Jean-Louis Roy énumérait, dans une lettre ouverte au Devoir, les priorités de BAnQ : « Renouvellement de ses infrastructures numériques, dont plusieurs sont obsolètes ; garantie du maintien de ses équipes de numérisation ; déploiement d’un dépôt numérique fiable et passage accompli à l’infonuagique ; inclusion de la production numérique au dépôt légal pour assurer la conservation ; mise à niveau de la loi prénumérique des archives nationales et enrichissement des capacités de son bureau d’expertise. » Sans quoi, selon lui, « l’embâcle prévisible sera monstrueux ».

De front, la Grande Bibliothèque doit continuer à recevoir in situ les deux millions de visiteurs qui franchissaient annuellement ses portes avant la pandémie, tout en accueillant davantage les clientèles défavorisées. Éducation, francisation, intégration des nouveaux arrivants, aide à l’emploi, littératie et littératie numérique s’ajoutent à la mission originelle. Tout comme les rénovations d’urgence de la patrimoniale bibliothèque Saint-Sulpice, à Montréal, pas encore entamées malgré une aide financière expresse de plus de 1,4 million de dollars de la part du ministère de la Culture en avril dernier.

Ces missions devront-elles être effectuées à budget réduit ? Comme le dévoilait Le Devoir la semaine dernière, un rapport indépendant de Raymond Chabot Grant Thornton s’attend à ce que BAnQ cumule des déficits de 34 millions d’ici 2025 — ou jusqu’à 50 millions si des investissements s’avèrent nécessaires.

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