Anglade prête à défendre le français à tout prix... mais pas la loi sur la laïcité

Près d’un an après son arrivée à la tête du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade fait le point.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Près d’un an après son arrivée à la tête du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade fait le point.

La cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), Dominique Anglade, est prête à sortir l’artillerie lourde pour renforcer la langue française au Québec. Elle pourrait même recourir à la clause dérogatoire, ce qu’elle se refuse toutefois de faire pour sauvegarder la Loi sur la laïcité de l’État.

À quelques jours de son premier anniversaire à la tête du PLQ, elle a accordé mercredi une entrevue au Devoir. Au lendemain d’un jugement de la Cour supérieure — qui soustrait les commissions scolaires anglophones à l’interdiction du port de signes religieux prévue par la loi —, elle dit s’inquiéter de voir la décision du juge Blanchard créer « deux classes » de Québécois. Sans détour, elle admet qu’elle ne désire pas que l’élection de 2022 porte sur cette question.

« Je pense que l’enjeu électoral, ça ne devrait pas être ça », affirme-t-elle, en disant souhaiter que le débat ne nuise pas à ses chances de courtiser l’électorat francophone, qui a massivement délaissé son parti lors de la dernière élection.

Se disant « en faveur » de la laïcité, elle rappelle qu’une fois élue, elle ne renouvellerait pas les clauses dérogatoires imbriquées dans la « loi 21 ». Elle laisserait donc le soin aux tribunaux de décider du sort du port de signes religieux et de l’obligation du visage découvert dans la prestation et la réception de services publics. Ces dispositions législatives ont été maintenues grâce aux clauses dérogatoires, même si elles nient des droits garantis par les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés.

L’approche Anglade ramènerait-elle donc le débat à son point de départ ? « [Le débat], il est étiré de toute façon », répond-elle. Mais « je ne l’ai pas, la solution, je ne l’ai pas à court terme. […] Une chose est claire, c’est qu’on n’a pas réglé ce débat. »

Prudente, Mme Anglade refuse de dire quelle posture elle compte adopter si le gouvernement Legault contingente les admissions dans les cégeps anglophones dans le plan d’action qu’il doit déposer pour protéger la langue française. « L’une des premières discussions que j’ai eues en me présentant comme chef, c’était sur la question de la langue. Il va falloir que le Parti libéral se positionne de façon très claire », fait-elle toutefois valoir.

Jusqu’ici, la seule prise de position qui la distingue de ses prédécesseurs est celle qu’elle a exprimée en octobre, lorsqu’elle a proposé que la « loi 101 » s’applique aux entreprises à charte fédérale. Or, celle qui avait un père souverainiste — et qui l’avait abonnée au Devoir, révèle-t-elle dans son récent livre — ne rejette pas l’idée d’avoir recours à la clause dérogatoire si cela est nécessaire.

« [Elle] a déjà été utilisée par le passé par ma propre formation politique et peut se justifier. C’est un outil que nous avons, donc ce n’est pas moi qui vais dire de ne pas utiliser la clause dérogatoire », affirme-t-elle. À son arrivée en poste, après une défaite qui avait fait germer des idées nationalistes chez les élus libéraux, Mme Anglade s’était réclamée de l’héritage de Robert Bourassa, qui a adopté en 1974 la loi faisant du français la langue officielle du Québec. Près d’un demi-siècle plus tard, « c’est préoccupant de voir l’attraction de la langue anglaise », dit-elle. Et puis, « non ! », tous les employés d’une chaîne de montage ne doivent pas savoir parler anglais, lance-t-elle en riant — et en rejetant du même coup les prétentions de son prédécesseur, Philippe Couillard.

Faire face aux « mon’oncles »

Depuis l’arrivée en poste de Mme Anglade, des élues féminines du caucus libéral ont occupé l’avant-scène et adopté une posture féministe — « assumée » selon la cheffe — pour critiquer l’approche de François Legault et de son équipe.

Au ministre de la Santé Christian Dubé, la députée Marie Montpetit a reproché de faire du mansplaining. La porte-parole libérale en matière de condition féminine, Isabelle Melançon, a dit du gouvernement qu’il était un boys club, un repaire de « mon’oncles ». « Le gouvernement a clairement oublié les femmes dans ce budget-là », a aussi dit le député André Fortin après le dépôt du budget Girard.

Ce féminisme est « moderne » et porté « naturellement » par les troupes libérales, avance Mme Anglade. Et si ces critiques font mal au gouvernement Legault, c’est « parce qu’elles sont vraies », ajoute-t-elle.

« Regardez comment les ministres sont traités ! [Le ministre de l’Éducation, Jean-François] Roberge, pourquoi est-il encore là ? Sérieux, pourquoi est-il encore là ? Donnez-moi une raison. Les autres ministres, vous avez vu comment elles ont été traitées ? », dit-elle en référence à celles qui ont été expulsées du conseil des ministres (MarieChantal Chassé et Sylvie D’Amours) ou mutées à un autre ministère (Danielle McCann). « Lui [François Legault], il a ses trois gars : Fitz, Girard, Dubé. En business. C’est ça ! » lance-t-elle au sujet des ministres de l’Économie, des Finances et de la Santé.

Selon Dominique Anglade, qui a côtoyé le premier ministre lorsqu’elle était présidente de la Coalition avenir Québec, de 2012 à 2013, la « manière de penser » de François Legault « relève d’un temps qui est autre » et n’a pas évolué au fil des ans, en ce sens qu’elle ne tient pas systématiquement compte des répercussions « économiques, sociales et environnementales ». Qu’a-t-elle appris au contact de celui qui est devenu premier ministre ? « Je me méfie toujours de ce qui est fait sur le coin d’une table », répond-elle du tac au tac.

Dominique Anglade sur…

Ce qu’elle aurait fait de différent dans la gestion de la pandémie ?

« J’aurais eu une équipe beaucoup plus diversifiée. Johanne Liu, Dr [Karl] Weiss, tous ces gens-là : appelez-les, mettez-les autour de la table ! Les pays qui s’en sont le mieux sortis sont ceux qui ont eu le moins d’angles morts. »

Le meilleur coup de François Legault depuis un an ?

« Sa capacité à communiquer au tout début de la crise. »

Son intention (toujours pas concrétisée) de faire de l’environnement la 9e valeur libérale ?

« Ce n’est pas par manque de volonté. Mais on n’a pas eu de congrès. […] C’est quelque chose qui va être très présent dans tout ce qui va être présenté. »

Le jugement de Derek Chauvin, reconnu coupable mardi du meurtre de George Floyd ?

« Tu regardais la vidéo, c’était tellement évident. Mais ça a tellement été souvent évident aux États-Unis et les gens ont été acquittés. […] Enfin, enfin, l’évidence a triomphé. »


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