La Loi sur la laïcité de l’État est maintenue

La Cour supérieure maintient la Loi sur la laïcité de l’État, mais soustrait les commissions scolaires anglophones à l’interdiction du port de signes religieux et à l’obligation du visage découvert qui y sont prévues. Il n’en fallut pas plus au procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, pour porter la décision en appel.
La loi 21 viole l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui accorde des droits constitutionnels aux minorités linguistiques dans la gestion de leurs écoles, dont celui d’établir les politiques d’embauche, de rétention et de promotion du personnel de leur choix, a statué le juge Marc-André Blanchard. « [L]es commissions scolaires anglophones et leurs enseignants.es ou directeurs.trices accordent une importance particulière à la reconnaissance et à la célébration de la diversité ethnique et religieuse », fait-il remarquer dans une décision fort attendue rendue publique mardi.
La Commission scolaire English-Montréal (CSEM), qui défend sur toutes les tribunes le « droit exclusif » de la minorité anglophone du Québec « de gérer et de contrôler [ses] écoles », était aux anges. « L’adoption de [la] loi [21] s’inscrivait en faux contre notre objectif sociétal, soit de faire la promotion de la coexistence pacifique au sein d’un Québec pluraliste et inclusif », s’est réjoui le président de la CSEM, Joe Ortona, mardi.
« Il n’y a pas deux Québec »
Le premier ministre François Legault a dit trouver « illogique » le raisonnement du tribunal, qui le conduit à lever — au nom des droits de la minorité linguistique — l’interdiction du port de signes religieux dans les écoles publiques anglophones. « Au Québec, on protège les droits des anglophones de recevoir des services en anglais. Mais là, c’est rendu que ça viendrait protéger des valeurs différentes pour les anglophones, puis les francophones », a-t-il lancé en conférence de presse, cachant difficilement son exaspération. « Moi, je pense qu’au Québec, pour toutes les Québécoises, et pour tous les Québécois, il doit y avoir des valeurs communes », a-t-il ajouté.
Le ministre Simon Jolin-Barrette s’est dit désolé de voir la Cour supérieure « réécrire » la Constitution du Canada. « L’article 23 qui a été écrit dans la Loi constitutionnelle de 1982 vise les droits linguistiques, vise les ayants droit », a-t-il soutenu. L’auteur de la loi 21 s’est engagé à « défendr[e] jusqu’au bout » le choix de la laïcité fait par la nation québécoise et ses représentants à l’Assemblée nationale il y a près de deux ans. « Certains tentent de nous diviser, mais le Québec reste uni. […] Les lois du Québec doivent s’appliquer pour tous et sur l’ensemble du territoire québécois. Il n’y a pas deux Québec », a poursuivi l’élu caquiste.
Le Mouvement laïque québécois s’est aussitôt rangé à ses côtés. « C’est comme si ces commissions scolaires devenaient un État dans l’État, pour l’autonomie du Québec en matière d’éducation », a affirmé l’avocat Guillaume Rousseau devant le palais de justice de Montréal.
Cela dit, M. Jolin-Barrette voit comme une « victoire » la reconnaissance du Tribunal que Loi sur la laïcité de l’État « ne viole ni l’architecture constitutionnelle canadienne ni la règle de la primauté du droit ».
Même si elles nient « des droits garantis par les Chartes », l’interdiction du port de signe religieux et l’obligation du visage découvert sont sauves, en raison de l’emploi des clauses de dérogation de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personnepar l’Assemblée nationale le 16 juin 2019.
L’utilisation de ces clauses dérogatoires « apparaît » aux yeux du juge Blanchard « excessive, parce que trop large », mais « juridiquement inattaquable dans l’état actuel du droit ». « [T]ant que notre société reconnaît la liberté de religion […], il s’ensuit qu’elle ne peut en faire abstraction comme s’il s’agissait d’une simple matière accessoire », a-t-il écrit.
Pour l’Association canadienne des libertés civiles, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) ou encore la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui jugent la loi 21 discriminatoire envers les minorités religieuses, à commencer par les femmes musulmanes portant le hidjab, la décision de la Cour supérieure est une défaite.
« Vive le Québec libre », a lancé le directeur des affaires publiques du Québec du CNMC, Yusuf Faqiri, après avoir survolé la décision de la Cour supérieure. « La liberté, c’est ce pour quoi nous nous sommes battus. Parce que chaque Québécois mérite d’être libre — chaque Québécois mérite d’avoir sa journée —, chaque Québécois mérite de voir ses choix respectés. [Or, ça fait] 674 jours que les Québécois qui portent des symboles religieux comme le hidjab, la kippa ou le turban sont des citoyens de seconde zone », a-t-il déploré. Le tribunal « met fin à cette situation [discriminatoire] pour certains Québécois, mais pas pour tous », a noté M. Faqiri. « La bataille contre la loi 21 va continuer. »
La porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, s’est désolée du « résultat de la loi 21 » près de deux ans après son adoption par le Parlement québécois. « Vous voulez faire respecter vos droits fondamentaux ? Allez travailler en anglais ! Ouch, ça fait mal », a-t-elle résumé.
Pour le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, la décision de la Cour supérieure constitue « une preuve éclatante que le Québec n’est pas en mesure de légiférer sur son territoire » et se voit imposer le « modèle multiculturaliste » du Canada.
Le Parti libéral va « respecter le processus judiciaire », a indiqué de son côté la cheffe de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale, Dominique Anglade, sans ignorer que le débat sur la légalité de loi 21 se transportera sans doute devant la Cour d’appel du Québec, puis la Cour suprême du Canada. Dans l’immédiat, « on va prendre le temps d’analyser le jugement », a-t-elle dit, avant d’ajouter : « On est en faveur de la laïcité. »
Le procureur général du Canada est quant à lui demeuré sur la ligne de touche mardi. « Il y a un processus judiciaire en cours et nous allons continuer de [le] suivre attentivement », a indiqué le premier ministre fédéral Justin Trudeau. À quel moment interviendriez-vous en cour ? lui a demandé un reporter. « Écoutez, on n’en est pas là. On va regarder le processus qui se déroule comme il se doit », a répondu le chef du gouvernement canadien.
Avec Marie-Michèle Sioui et Marie Vastel
Les personnes voilées peuvent siéger à l’Assemblée nationale
La Cour supérieure dispense aussi les membres de l’Assemblée nationale de l’obligation du visage découvert prévue dans la Loi sur la laïcité de l’État, puisqu’elle viole l’article 3 de la Charte canadienne selon lequel « tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales ». « [L’]effet du premier alinéa de l’article 8 [selon lequel “Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert”] mène à une seule conclusion raisonnable : une personne qui se voile le visage ne peut envisager de siéger à l’Assemblée nationale même après son éventuelle élection, ce qui manifestement fait en sorte que bien qu’elle puisse, à strictement parler, se présenter à un poste électif, elle ne pourra donner suite à un éventuel mandat reçu des électeurs.trices », souligne le juge Marc-André Blanchard.