Le «yo-yo COVID» du gouvernement Legault, un jeu dangereux
Que le gouvernement Legault réajuste les mesures sanitaires, soit. Mais la manière actuelle de faire — cette impression que Québec joue au yo-yo d’une journée à l’autre — comporte de réels risques que la population perde simplement confiance, préviennent des expertes en psychologie.
« Le problème avec la perception du va-et-vient [entre resserrement et allégement], c’est que ça laisse croire au public que le gouvernement n’a pas de plan, ou ne sait pas ce qu’il fait », disait jeudi la psychologue Kim Lavoie, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine comportementale.
« Il y a un enjeu présentement en matière de confiance dans le message, souligne Ariane Bélanger-Gravel, professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Les gens peuvent avoir l’impression qu’on nous dit n’importe quoi, que tout peut changer d’un coup. Alors, oui, ça a un impact sur l’adhésion, et la confiance diminue, et ça soulève des questions sur les comportements subséquents. »
Les gens peuvent avoir l’impression qu’on nous dit n’importe quoi, que tout peut changer d’un coup. Alors oui, ç'a un impact sur l’adhésion, et la confiance diminue.
Pour Roxane de la Sablonnière, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, le danger est là. « Si les gens ont l’impression que la crise est mal gérée, ou que les mesures sont incohérentes, que tout manque de clarté, que ça change beaucoup dans le temps, oui, ça effrite la confiance. »
C’est un peu ce que soulignait le député solidaire Gabriel Nadeau-Dubois mardi. « À force de changer de cap aussi souvent, [le gouvernement] est en train d’étourdir les Québécois. » Et selon lui, cette « valse-hésitation crée de la confusion et de la fatigue ».
Dans les derniers jours, le gouvernement a donc rétropédalé sur plusieurs mesures sanitaires (comme d’autres gouvernements ailleurs dans le monde, par ailleurs). Couvre-feu ramené à 20 h. Élèves qui retournent à l’école en alternance. Capacité d’assistance des lieux de culte revue à la baisse. Fermeture des gyms, etc. Les espoirs nés de l’avancement de la campagne de vaccination et du retour du beau temps ont pris passablement du plomb dans l’aile.
François Legault l’a remarqué lui-même jeudi : « On n’avait même pas eu le temps de complètement déconfiner [après la deuxième vague] qu’on a eu une troisième vague. » Explication : « On peut avoir l’air effectivement de changer : mais la situation change. » Plus tôt cette semaine, le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, reconnaissait que « c’est un yo-yo, à cause des variants ».
Quitter le court terme
Chose certaine, cet effet yo-yo n’est pas bon, estiment toutes les expertes consultées par Le Devoir. « C’est sûr que d’avoir des décisions contradictoires en quelques jours, ça entraîne de l’insécurité et des remises en question », dit la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, professeure associée à l’UQAM.
Surtout, note Kim Lavoie, quand la population n’a pas le temps de digérer les modulations. « Chez tout humain, le changement est stressant. » Si, en plus, il est « inattendu et imprévu […], eh bien, ça suscite énormément d’anxiété, qui peut se transformer en résistance ».
Kim Lavoie estime que l’évolution de la situation au cours des derniers jours montre que le gouvernement devrait « moduler les attentes des gens » plutôt que de laisser miroiter des éclaircies qui ne durent pas. « C’est toujours mieux d’être prudent, de maintenir les attentes au neutre, que de les augmenter et de décevoir au final. »
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Une des clés de l’adhésion et du maintien du moral réside d’ailleurs dans la prévisibilité, dit la psychologue Beaulieu-Pelletier. Elle reconnaît que la crise actuelle demande des changements rapides. Mais la stratégie du gouvernement — ouvrir et fermer le « robinet » régulièrement — a des effets pervers, affirme-t-elle.
« Quand on sait ce qui s’en vient, on a une bonne capacité d’adaptation, on est capable de passer à travers des périodes difficiles. Mais quand ça change sans cesse, on ne peut pas planifier [notre vie autour des mesures]. On n’arrive pas à aménager notre réalité en fonction des événements. »
Autre aspect important à ce stade de la crise, avec le niveau de fatigue collective : la transparence. « On s’attend bien sûr à ce que le gouvernement doive revenir sur certaines décisions, fait valoir Geneviève Beaulieu-Pelletier. Il doit gérer en cherchant un équilibre compliqué entre le confinement, la santé mentale, des demandes de tous les secteurs… C’est très difficile. »
Mais quand il annonce un changement de cap, « ce qui est important, c’est d’expliquer clairement les changements. Il faut que ce soit clair et cohérent ». Et présentement, cet aspect fait défaut, affirme Kim Lavoie.
Elle parle notamment d’une incapacité de Québec à « reconnaître des erreurs », comme celle d’avoir allégé certaines restrictions alors que plusieurs appelaient à faire le contraire. « Ne pas reconnaître qu’il y a eu erreur à la base sabote la confiance qu’on a envers le gouvernement. On a besoin d’être rassurés. Sinon, on se demande : quelle assurance on a que ça ne va pas se répéter ? »
L’exemple des serviettes
Spécialisée en psychologie sociale, Roxane de la Sablonnière ajoute un élément à la réflexion sur le risque de rupture entre le gouvernement et la population. « En prenant toujours comme exemple les récalcitrants [qui ne respectent pas les règles sanitaires], le gouvernement met une attention négative sur un comportement qui n’est pas nécessairement représentatif », dit-elle.
Et cela n’est pas sans conséquence. « Beaucoup de recherches montrent que les normes sociales influencent vraiment les gens ». Mme de la Sablonnière donne l’exemple des messages dans les hôtels qui demandent de réutiliser les serviettes pour, essentiellement, « sauver la planète ». « La recherche montre que ça ne fonctionne pas… Ce qui fonctionne, c’est de rapporter que la majorité des clients de cet hôtel font ça. »
Autrement dit : lorsque l’on sait que les autres font quelque chose, la tendance naturelle est d’imiter. D’où l’importance d’avoir en tête le bon exemple…