Gatineau, orpheline, se cherche un nouveau maire

En moins de dix ans, la ville de Gatineau a pris de l’ampleur sur le plan politique, notamment en s’imposant aussi bien à Québec qu’à Ottawa. Un changement de paradigme qui éloigne la fonction de maire, traditionnellement assez indépendant, d’une logique de districts centrée sur les infrastructures locales.
Photo: Getty Images En moins de dix ans, la ville de Gatineau a pris de l’ampleur sur le plan politique, notamment en s’imposant aussi bien à Québec qu’à Ottawa. Un changement de paradigme qui éloigne la fonction de maire, traditionnellement assez indépendant, d’une logique de districts centrée sur les infrastructures locales.

À quelques mois des élections municipales, de nouvelles candidatures et des luttes politiques inédites font leur apparition un peu partout au Québec. Le Devoir amorce ici une série d’articles sur celles qui méritent d’être surveillées.

Le retrait surprise du maire Maxime Pedneaud-Jobin ouvre la porte à des candidatures aussi variées qu’étonnantes aux élections municipales de Gatineau, où les femmes sont plus présentes que jamais et où un ancien maire pourrait faire un retour inattendu.

Personne ne l’avait vu venir. Le 27 janvier dernier, Maxime Pedneaud-Jobin annonçait qu’il ne solliciterait pas un troisième mandat cet automne. Visiblement usé, le jeune maire ne trouvait plus le souffle qu’il fallait pour continuer.

Il faut dire que les dernières années n’ont pas été de tout repos à Gatineau, avec deux graves inondations (2017 et 2019) et une tornade (2018) survenues en trois ans.

Des années marquées aussi par des affrontements très musclés au conseil municipal, où le parti de Maxime Pedneaud-Jobin, Action Gatineau, et ses huit élus étaient minoritaires face à dix indépendants. Sa décision de contrer le projet immobilier des tours Brigil en protégeant le quartier du Musée ou encore ses actions dans le dossier de l’aréna de l’équipe de hockey les Olympiques ont été vertement critiquées.

Je ne pense plus qu’on puisse dire que Gatineau, c’est seulement la banlieue d’Ottawa. Il y a vraiment eu un effort pour que Gatineau soit vraiment reconnue comme la quatrième grande ville du Québec.

 

Le spécialiste en politique municipale Guy Chiasson se demande s’il aurait réussi à obtenir une majorité s’il s’était représenté. « Aux dernières élections, il a été beaucoup plus populaire que son parti. […] Les électeurs semblaient avoir dissocié Maxime Pedneaud-Jobin de son parti, et je me demande si on n’aurait pas eu quelque chose de semblable. »

Action Gatineau est le premier parti politique municipal à avoir été représenté dans cette ville. Axé sur la consultation publique, une plus grande planification urbaine et la défense de l’environnement, le parti était en outre représenté par de nombreux jeunes.

Certains le comparent à Projet Montréal ou encore au Rassemblement populaire, avec lequel Jean-Paul L’Allier avait fait son entrée en politique à Québec à la fin des années 1980. Maxime Pedneaud-Jobin s’est d’ailleurs souvent référé à lui, note M. Chiasson, professeur en sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais.

Méfiance envers les partis

 

Myriam Nadeau avait à peine 30 ans lorsqu’elle a été élue au sein de cette équipe en 2013. Lauréate du prix « Personnalité de la relève municipale » en 2017, elle ne se représentera pas, elle non plus, à l’automne. « Ce n’est plus la même ville », dit-elle. « Gatineau s’est imposée dans le paysage décisionnel à Québec, et dans la capitale fédérale aussi. »

Ces ambitions tranchent avec le modèle qui prévalait avant en politique municipale, croit M. Chiasson. « Avant, la vie politique municipale à Gatineau était un peu traditionnelle, avec des élus indépendants qui se faisaient élire dans une logique de districts, centrée sur les infrastructures locales », note-t-il.

Il existe d’ailleurs à Gatineau une forte méfiance à l’idée même des partis politiques, fait-il remarquer. « Ça repose sur l’idée que les partis introduisent inutilement des conflits, voire de la corruption, et qu’on a seulement besoin de représentants proches de leurs commettants. »

Cette vision est incarnée, dans une certaine mesure, par Jean-François LeBlanc, conseiller indépendant du district du Lac-Beauchamp, officiellement candidat à la mairie comme indépendant, dit-il. Du côté d’Action Gatineau (AG), il faudra attendre l’élection à la chefferie du parti le 25 avril avant de savoir.

Pour l’instant, la seule candidate à la chefferie d’AG est Maude Marquis-Bissonnette, qui est actuellement conseillère municipale. Une autre femme, France Belisle, la directrice de Tourisme Outaouais, brigue aussi la mairie. Si l’une d’elles se faisait élire, elle serait la première mairesse de l’histoire de la ville.

Un tramway et un sixième lien

 

S’ajoute un autre candidat potentiel, et non le moindre : l’ancien maire de Hull, Yves Ducharme, qui a dirigé Gatineau au début des années 2000 et songerait à un retour. Fait intéressant, M. Ducharme a été, ces dernières années, lobbyiste pour la compagnie immobilière à l’origine du projet des tours Brigil, ce qui laisse présager de vifs échanges sur les besoins des promoteurs immobiliers et le développement économique, s’il se représente.

Ces dernières années, le dossier des tours Brigil « a cristallisé l’opposition entre deux manières de voir la ville, l’urbanisme, les liens entre les municipalités et les entrepreneurs », observe Anne Mévellec, professeure en études politiques à l’Université d’Ottawa dont les recherches s’intéressent au monde municipal.

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Les dernières années n’ont pas été de tout repos à Gatineau, avec deux graves inondations (2017 et 2019) et une tornade (2018) survenues en trois ans.

Entre autres dossiers à surveiller, il y a également celui du transport, croit Myriam Nadeau. « Je crois que ça va être au cœur des discussions. Il y a de grandes décisions qui doivent se prendre dans la lutte contre les changements climatiques, et les réponses les plus structurantes sont vraiment au niveau de la mobilité. »

Comme Québec, Gatineau a son projet de tramway entre Aylmer et Ottawa, alors que certains citoyens militent en faveur de la création d’un nouveau pont dans l’est de la ville. Or il semble que le sixième lien de Gatineau déchaîne moins les passions que le troisième lien de Québec. D’autant plus que les maires des deux rives, M. Pedneaud-Jobin et le maire d’Ottawa, Jim Watson, y sont tous deux opposés, note Mme Mévellec.

D’ailleurs, l’établissement des relations « d’égal à égal » entre les deux maires est l’un des « bons coups » de l’administration de Maxime Pedneaud-Jobin, remarque-t-elle. « C’est ensemble qu’ils ont obtenu leur siège à la Commission de la capitale nationale. Ils ont fait plusieurs apparitions communes […] Je ne pense plus qu’on puisse dire que Gatineau, c’est seulement la banlieue d’Ottawa. Il y a vraiment eu un effort pour que Gatineau soit vraiment reconnue comme la quatrième grande ville du Québec. »

La vision du maire sortant survivra-t-elle à son départ ? Les paris sont ouverts. Chose certaine, son départ n’est pas une mauvaise chose pour la démocratie, fait valoir Mme Mévellec. « Il a fait trois mandats : un comme conseiller ; deux comme maire. C’est assez sain que ça tourne un peu. »

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