La loi sur les conflits d’intérêts est trop stricte, estime la commissaire à l’éthique

Le ministre Pierre Fitzgibbon a fait l’objet de deux rapports de la commissaire à l’éthique l’automne dernier.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le ministre Pierre Fitzgibbon a fait l’objet de deux rapports de la commissaire à l’éthique l’automne dernier.

La commissaire à l’éthique est d’accord sur un point avec le ministre Pierre Fitzgibbon et le premier ministre François Legault : la loi qui encadre les conflits d’intérêts est trop stricte à certains égards. Ariane Mignolet avait suggéré il y a environ un an que certains assouplissements y soient apportés, mais ses recommandations étaient alors passées inaperçues.

« J’ai besoin d’une marge de manœuvre », a-t-elle expliqué dans une entrevue exclusive au Devoir. Elle cite l’article 46 qui s’est appliqué dans le cas de M. Fitzgibbon. Celui-ci détenait des actifs dans plusieurs entreprises privées et tardait à s’en départir. Or, en vertu de cet article, ces entreprises devaient cesser de faire affaire avec le gouvernement, ses ministères ou ses organismes sans quoi le ministre devait se défaire de ses parts. « La règle est absolue », avait-elle écrit dans son rapport de mise en œuvre déposé en décembre 2019.

« Le commissaire pourrait mettre des conditions pour dire dans telles conditions, c’est correct, j’accorde qu’un ministre garde ces intérêts dans la mesure ou [il se conforme à certains critères] », a-t-elle précisé. Ces critères pourraient varier selon la nature et le montant de l’investissement, le contrôle de l’élu sur l’entreprise, le ministère que l’élu dirige et son domaine d’affaires.

Cas Fitzgibbon

 

Le cas de M. Fitzgibbon est singulier. À son arrivée en politique, l’homme d’affaires détenait 13 investissements dans des entreprises privées. Il s’est départi de 11 d’entre eux, mais a tout de même fait l’objet de deux rapports de la commissaire à l’éthique l’automne dernier. Le premier a mené à un blâme de l’Assemblée nationale envers le ministre de l’Économie. Dans le second, la commissaire a demandé une seconde réprimande, mais le premier ministre François Legault a choisi de ne pas y donner suite. Il n’y avait pas lieu de le faire, selon lui, parce que le ministre ne pouvait pas vendre ses actions puisqu’il « n’y avait pas d’acheteur de disponible ».

Il attend toujours un acheteur pour ses actions dans Immervision et a mis ses autres actions dans une fiducie sans droit de regard, a indiqué son attaché de presse, Mathieu St-Amand. En réaction au dernier rapport de la commissaire à l’éthique, le ministre de l’Économie avait qualifié le Code d’éthique et de déontologie des députés de « désuet », ajoutant qu’il datait « d’une autre époque ».

Or, cette loi a seulement été adoptée en 2010 au moment où l’intégrité du gouvernement libéral de Jean Charest était remise en question. « Le premier projet de loi qui a été déposé à l’Assemblée nationale était plus souple et prévoyait une possibilité pour les ministres de garder leurs intérêts et pendant l’étude du projet de loi, les députés ont adopté un amendement pour le restreindre », a rappelé la commissaire Mignolet.

Le projet de loi avait alors été adopté à l’unanimité. À l’époque, le ministre du Travail, David Whissell, avait choisi de quitter le Cabinet plutôt que de se départir de ses parts dans l’entreprise familiale d’asphaltage qui avait obtenu de lucratifs contrats gouvernementaux. Les cas de conflits d’intérêts étaient alors gérés par les chefs de parti, au cas par cas.

Assouplissement

 

« Ça prend un message clair du législateur qu’il veut vraiment assouplir ça parce qu’il y a dix ans, il a clairement dit non », a fait remarquer Mme Mignolet. Il y aurait plusieurs façons d’offrir davantage de flexibilité tout en évitant les conflits d’intérêts, comme l’usage d’une fiducie sans droit de regard. La loi ne le prévoit pas pour les actifs privés des ministres au Québec… même si le ministre Fitzgibbon a utilisé ce mécanisme.

Le filtre anti-conflits d’intérêts pourrait aussi faire partie du coffre à outils de la commissaire à l’éthique. Ce mécanisme de gestion des conflits d’intérêts existe déjà à Ottawa. « Le chef de cabinet et le sous-ministre sont impliqués pour s’assurer que le ministre n’est pas informé d’aucune décision, aucune recommandation, aucune question qui pourrait affecter ses intérêts privés ou les intérêts de la compagnie dont il détient des actions », a expliqué la directrice des Conseils et de la conformité pour le Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique au fédéral, Lyne Robinson-Dalpé.

Ça prend un message clair du législateur qu’il veut vraiment assouplir ça parce qu’il y a dix ans, il a clairement dit non

 

Le premier ministre Legault avait dit en décembre vouloir travailler avec les partis d’opposition pour assouplir la loi, mais la réforme n’est pas pour demain. Déjà, Québec solidaire est catégorique sur le fait qu’il est hors de question de collaborer avec le gouvernement pour rendre le code d’éthique des députés moins exigeant ou « l’adapter sur mesure pour M. Fitzgibbon ». Fort désaccord également au Parti québécois, pour qui il est hors de question de changer le code « pour l'adapter aux caprices d'un seul ministre ». Les libéraux font preuve d’ouverture à l’égard des recommandations de la commissaire, mais lancent un avertissement au gouvernement caquiste : la modernisation du code d’éthique « ne sera pas pour permettre à un membre du conseil des ministres de mieux le contourner ».

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