Québec a-t-il gardé des réserves de vaccins superflues?

En tout, 124 800 doses du vaccin de Pfizer doivent arriver la semaine prochaine, puis 208 000 doses par semaine par la suite.
Photo: John Woods La Presse canadienne En tout, 124 800 doses du vaccin de Pfizer doivent arriver la semaine prochaine, puis 208 000 doses par semaine par la suite.

Garder la moitié des vaccins de Pfizer pour une seconde dose, comme ce qu’a discrètement décidé Québec après une certaine ambivalence, n’est ni nécessaire, de l’avis du fédéral, ni strictement exigé par la compagnie pharmaceutique.

Jusqu’à la réception, mercredi, des 32 500 premières doses du vaccin de Moderna, le Québec disposait d’un total de 55 000 doses du vaccin de Pfizer-BioNTech, livrées par le fédéral. La moitié de ces vaccins devait toutefois rester au congélateur, a appris aux journalistes mardi le ministre de la Santé, Christian Dubé. « Il y en a 27 000 qu’on doit garder, qui est une exigence de Pfizer », s’était-il justifié en conférence de presse. Une affirmation rapidement contredite par la compagnie pharmaceutique et même son propre ministère.

Deux doses par personne administrées dans un intervalle de 21 jours sont requises pour que le vaccin de Pfizer soit pleinement efficace. L’entreprise a recommandé aux gouvernements provinciaux de conserver une partie des doses livrées sans toutefois en faire une obligation, selon la directrice des affaires de l’entreprise, Christina Antoniou. Il appartient donc aux provinces « de déterminer comment elles administreront leur programme de vaccination. »

« Comme la compagnie Pfizer nous confirme les arrivages de vaccin seulement deux semaines d’avance pour le moment, nous avons fait le choix de conserver la deuxième dose afin de nous assurer de respecter les intervalles prescrits par la compagnie », a fait savoir mercredi la porte-parole du ministère de la Santé, Marjorie Larouche, par courriel.

Or, ce choix fait par Québec n’est tout simplement plus nécessaire, selon les autorités fédérales. « Maintenant, avec les livraisons qui sont plus sûres, ou plus stables, dans les prochaines semaines et mois, je pense que c’est moins un enjeu et les provinces et territoires commencent à vacciner le plus grand nombre de personnes possibles avec la première dose en attendant [la livraison de] la deuxième dose de Pfizer », a mentionné le Dr Howard Njoo, sous-administrateur en chef de la santé publique fédérale.

Rien à craindre

Si le Québec se méfie d’une interruption de l’approvisionnement en vaccins, le grand responsable de cette logistique au pays a plutôt indiqué qu’il n’y a rien à craindre.

« On est beaucoup plus confiants maintenant avec la disponibilité des vaccins Pfizer-BioNtech », a rassuré le major-général Dany Fortin, qui a annoncé mercredi un rythme beaucoup plus soutenu des livraisons de vaccins dès janvier. En tout, 124 800 doses de ce vaccin doivent arriver la semaine prochaine, puis 208 000 doses par semaine pour la suite. En additionnant les doses attendues de l’autre vaccin distribué au Canada, celui de Moderna, le pays s’attend à recevoir au moins 1,2 million de doses à partager entre les provinces.

La généticienne à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill et membre du groupe d’experts COVID-19 Ressources Canada, Fatima Tokhmafshan, y voit un autre dossier où le gouvernement québécois ne peut expliquer d’où proviennent ses décisions.

« C’est peut-être une erreur honnête du gouvernement, mais on constate un manque de transparence du Québec, à savoir qui prend les décisions, sur quelles bases elles sont prises. La transparence est fondamentale pour assurer la santé publique. »

Selon le professeur de publicité sociale à l’Université Laval Christian Desîlets, le grand nombre d’intervenants a peut-être nui à la bonne communication dans le dossier.

« Il y a beaucoup de porte-parole, peut-être trop [au sein du gouvernement]. Si on multiplie les porte-parole, on multiplie les risques d’erreurs. »

Attendre ou pas ?

Serait-ce si grave que des patients ratent le délai de 21 jours après leur première dose du vaccin de Pfizer-BioNTech avant d’en obtenir une seconde, par exemple, à cause d’un problème d’approvisionnement ?

D’après Andrés Finzi, professeur de virologie et d’immunologie à l’Université de Montréal, le calendrier est un peu flexible. « Je suis pas mal convaincu qu’on pourrait donner la deuxième dose à quatre ou cinq semaines et que ça fonctionnerait bien », énonce-t-il.

Le spécialiste avance que la compagnie pharmaceutique, de par ses essais cliniques de phase III, dispose probablement de données permettant de préciser la largeur de la fenêtre temporelle pour l’injection de la dose de rappel. Ces données n’ont toutefois pas nécessairement été rendues publiques.

Il ne faut toutefois pas se tromper : la deuxième dose est absolument nécessaire, selon le Dr Finzi. Donner seulement une dose pour aller plus vite, ce serait « vacciner dans le beurre ». La première dose génère effectivement une certaine protection avec des anticorps, explique-t-il. Toutefois, elle ne stimule pas nécessairement les autres mécanismes du système immunitaire qui procurent une protection durable.

Avec Alexis Riopel

Chronologie d’une confusion

7 décembre. Le ministre Christian Dubé donne les premiers détails sur l’opération de vaccination contre la COVID-19 au Québec. Son communiqué indique que de 22 000 à 28 000 Québécois pourraient être vaccinés d’ici le 4 janvier prochain.

8 décembre. Le nombre de personnes que le gouvernement compte vacciner au 4 janvier grimpe à 57 000 comme en fait foi un communiqué publié ce jour-là. Le cabinet du ministre Dubé avait alors indiqué au Devoir qu’il comptait utiliser toutes les doses livrées par Pfizer.

9 décembre. En conférence de presse, le ministre Dubé affirme que le gouvernement prévoit de vacciner 60 000 personnes entre le 14 décembre 2020 et le 4 janvier 2021.

14 décembre. Lors du premier jour de vaccination, à Montréal, la responsable Francine Dupuis précise bien aux journalistes présents que « [pour] ce premier envoi là, ils nous ont dit qu’on pouvait [utiliser] 100 % des doses reçues. »

28 décembre. Le Devoir révèle que Québec est en retard pour atteindre sa cible de 57 000 personnes vaccinées.

29 décembre. Le ministre Dubé révèle en conférence de presse que ce ne sont finalement que 27 000 personnes qui seront vaccinées durant cette période, puisque la moitié de toutes les doses reçues sont gardées en réserve. Il dit vouloir faire lever l’« exigence » de Pfizer.


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