Deuxième tentative pour retrouver les enfants autochtones disparus

Dans la seule nation attikamek, 25 familles sont à la recherche de 34 enfants disparus, selon la vice-chef de Manawan, Sipi Flamand. Sur la photo, Manawan.
Photo: Hubert Hayaud Le Devoir Dans la seule nation attikamek, 25 familles sont à la recherche de 34 enfants disparus, selon la vice-chef de Manawan, Sipi Flamand. Sur la photo, Manawan.

Sylvie D’Amours est sortie mercredi de la retraite que lui a imposée son expulsion du Conseil des ministres pour présenter «sa loi sur les bébés»: la deuxième tentative de Québec pour percer le mystère des enfants autochtones disparus.

Émue aux côtés de son successeur aux Affaires autochtones, Ian Lafrenière, Mme D’Amours a évoqué ses propres enfants et appelé au «devoir de mémoire» des Québécois afin que «cette tragédie soit connue de tous».

Au Québec, entre les années 1950 et 1970 et peut-être même au-delà, des dizaines d’enfants autochtones ont été déclarés morts ou disparus — parfois à tort — après avoir été envoyés dans des hôpitaux sans que leurs parents puissent les accompagner. Le phénomène a notamment été documenté par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), qui a demandé à Québec « de remettre aux familles autochtones toutes les informations dont il dispose» au sujet de ces enfants, surtout des Attikameks et des Innus.

Pour toute réponse, certaines familles n’ont vu à ce jour que des photos d’un cercueil fermé, ou d’un cercueil dans lequel repose un enfant qu’elles savent ne pas être le leur.

«Est-ce une disparition, un décès à la suite de problèmes de santé, un enlèvement? C’est ce que les familles recherchent comme vérité», a expliqué au Devoir le vice-chef de Manawan, Sipi Flamand. Dans la seule nation attikamek, 25 familles sont à la recherche de 34 enfants disparus, selon sa compilation la plus à jour.

Une deuxième tentative

 

Le projet de loi déposé mercredi est le tout premier à émaner du Secrétariat aux affaires autochtones et à relever de son ministre, a souligné Ian Lafrenière. Il constitue aussi la seconde tentative de Québec d’accompagner les familles dans leurs quêtes.

En janvier, Le Devoir avait révélé que le gouvernement Legault avait amendé son projet de loi sur la pharmacie afin d’y ajouter une disposition prévoyant que « le ministre de la Justice assiste et guide » ces familles endeuillées dans leurs quêtes. Face aux critiques, le gouvernement a ensuite abandonné cette avenue.

Au nom des familles endeuillées, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) avait réclamé un projet de loi distinct, tandis que la protectrice du citoyen avait déploré le peu de consultations menées en amont du dépôt du projet de loi.

«J’ai entendu et j’ai écouté», a assuré Mme D’Amours lors de la présentation de la nouvelle version du projet de loi.

Cette seconde version vise à faciliter la divulgation d’informations aux familles de la part des établissements de santé et des congrégations religieuses — ces dernières étant absentes du projet de loi précédent. Elle encadre aussi le rôle du ministre des Affaires autochtones auprès de ces familles, qui pourront aller jusqu’à demander l’exhumation du corps de leur proche disparu.

Le projet de loi vise aussi à permettre aux «membre[s] de la famille de l’enfant» disparu de demander l’accès aux documents permettant d’en savoir davantage sur le sort qui lui a été réservé. Jusqu’ici, «ça prenait l’approbation d’un parent, d’une mère ou d’un père», a rappelé Sipi Flamand. Cela constituait un obstacle lorsque les parents étaient décédés.

Les dispositions du projet de loi ne sont plus limitées aux cas d’enfants admis dans un établissement de santé entre 1950 et 1989. «Nous avons enlevé la date de départ [pour que] tous ceux qui auraient eu une expérience de perdre un enfant [puissent] déposer une demande», a expliqué Mme D’Amours, en disant souhaiter que les familles endeuillées trouvent «un peu de réconfort et le début d’une guérison» dans leurs démarches.

Québec entend aussi répondre aux craintes — notamment exprimées par l’ex-commissaire de l’ENFFADA Michèle Audette — de voir des familles abandonnées à un processus étranger et décourageant. «On prévoit aussi un budget pour une équipe, pour un groupe qui va être avec [les familles]», a affirmé le ministre Lafrenière. «Les détails, on va les développer ensemble. [...] On accompagne les familles, on ne les référence pas, on ne leur dit pas : “Voici le numéro. Bonne chance”.»

Il a ensuite appelé à la bonne collaboration des oppositions, après quoi Québec solidaire a réagi par communiqué de presse. «Nous étions impatients de voir le gouvernement prendre cet enjeu au sérieux et lui accorder un projet de loi distinct comme l’exigent les familles autochtones et leurs représentants», a fait savoir Manon Massé. «Il faudra s’assurer qu’un mécanisme clair est prévu pour rejoindre les familles autochtones, en tenant compte de leur langue, de leur culture et de leur lieu de résidence, et ce, sans limite de temps», a-t-elle ajouté.

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