L’opposition réclame la suspension de Fitzgibbon, encore blâmé par la commissaire à l’éthique

Les oppositions ont réclamé mercredi la suspension — voire le départ de la vie politique — du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, au lendemain du dépôt d’un second rapport dévastateur de la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale à son sujet.
L’élu libéral Gaétan Barrette a demandé au ministre caquiste de « se retire[r] de ses fonctions jusqu’à ce qu’il ait régularisé sa situation en matière d’éthique ».
« On demande et on redemande au premier ministre […] de le suspendre le temps que celui-ci fasse du ménage dans ses affaires », a ajouté le député solidaire Vincent Marissal.
Pascal Bérubé, du Parti québécois, a ensuite invité M. Fitzgibbon « à aller prendre une marche dans la neige et à réfléchir à son avenir politique ». C’est après ce genre de promenade hivernale que le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau avait pris la décision de quitter la politique.
Les oppositions ont profité de la période des questions pour mettre le ministre de l’Économie sur la sellette, en soulignant à gros traits la situation de conflit d’intérêts dans lequel il s’est placé, selon la commissaire. Cette dernière lui reproche entre autres d’être intervenu auprès d’Investissement Québec afin que la société d’État refuse d’octroyer un prêt à l’une des entreprises à laquelle il est lié.
« Je ne sais pas dans quel univers empêcher une entreprise publique d’investir dans ses entreprises, c’est devenu un conflit d’intérêts », a rétorqué le ministre Éric Caire. « Le [ministre] n’a pas utilisé de fonds publics pour favoriser ses intérêts personnels, ses proches, ses entreprises. Il a fait le contraire », a-t-il souligné.
En attrapant les questions au sujet de M. Fitzgibbon, le « shérif de La Peltrie » s’est montré aussi crédible que l’avocat de Donald Trump, Rudy Giuliani, lui a lancé le député Bérubé. « Il devrait invoquer Saint Jude, le patron des causes désespérées, parce que c’est franchement pathétique », a-t-il ajouté.
Tel qu’annoncé, la Coalition avenir Québec s’est opposée à ce que Pierre Fitzgibbon reçoive une sanction en raison des manquements éthiques relevés par la commissaire Ariane Mignolet. Elle a en revanche accepté de réitérer sa confiance « pleine et entière » envers celle-ci.
En point de presse, le premier ministre Legault a dit de l’opposition qu’elle « jouait bien son rôle », visant à « s’opposer ». « Je pense que les trois partis d’opposition rêveraient d’avoir un ministre de l’Économie comme on a », a-t-il ajouté.
Un deuxième blâme
La commissaire a recommandé mardi qu’une nouvelle réprimande soit imposée au ministre de l’Économie, moins d’un mois après qu’il eut fait déjà l’objet d’une motion de blâme de l’Assemblée nationale.
Me Mignolet a réprouvé le ministre en raison des intérêts qu’il détient toujours, à ce jour, dans des entreprises qui transigent avec le gouvernement. Elle lui a aussi reproché d’avoir omis de mentionner certains de ses intérêts dans sa déclaration d’intérêts personnels et d’être intervenu auprès d’Investissement Québec afin de la dissuader d’octroyer un prêt à l’une des entreprises à laquelle il est lié.
Le rapport fait état du ton acrimonieux du ministre envers la commissaire. Après avoir balayé ses avertissements du revers de la main, M. Fitzgibbon se dit notamment « furieux » contre Me Mignolet, dont il fustige les méthodes d’enquête.
François Legault a souligné mardi que « l’honnêteté de Pierre Fitzgibbon n’a jamais été mise en cause ». Dans un changement de discours par rapport à celui qu’il a tenu lorsqu’un premier avertissement a été servi à son ministre, le chef du gouvernement a plaidé pour un assouplissement du code d’éthique des élus, non sans rappeler la « chance » qu’ont les Québécois d’avoir un homme de sa compétence à la tête du ministère de l’Économie.
Le ministre Caire a repris la proposition de son chef au Salon bleu. « Travaillons à modifier le code pour permettre à des gens comme le ministre de l’Économie… », a-t-il dit avant d’être interrompu.
Un « gros char »
Pour Gaétan Barrette, « la question n’est [cependant] pas de savoir si le code est vieux ou s’il doit être remanié ». « La question, a-t-il ajouté, est qu’il existe. » « Quand M. Fitzgibbon a fait le choix de venir en politique, quand M. Legault a fait le choix de le recruter, c’était en pleine connaissance de cause. On ne peut pas plaider l’ignorance, on ne peut pas plaider ici que le code d’éthique n’est pas adapté. »
L’élu libéral s’est inquiété des propos du ministre, qui a déclaré mardi qu’il « ferai[t] la même chose demain matin ». « On a un individu qui a sciemment passé outre le code d’éthique. On a un individu qui, ouvertement, dit que si c’était à refaire, il le referait », a déclaré M. Barrette.
Comme lui, Vincent Marissal a utilisé l’analogie du Code de la sécurité routière pour exprimer sa dissension. « M. Fitzgibbon s’est fait prendre sur l’autoroute à 135 kilomètres heure, mais il va plaider devant un juge qu’il faut changer le Code de la route, parce que lui, il a un gros char, puis il veut rouler vite, et tant pis pour les autres », a lancé le député solidaire.
À ses côtés, Gabriel Nadeau-Dubois s’est dit désolé de voir le premier ministre défendre « son chum de gars » plutôt que le code d’éthique. « Ça, ça s’appelle de l’élitisme, ça s’appelle penser qu’il y a des règles pour les banquiers et des règles pour les autres. […] Et si M. Fitzgibbon pense qu’il est trop bon ou trop riche pour suivre les mêmes règles que les autres, bien, qu’il quitte la vie politique », a-t-il suggéré.
Le député péquiste Pascal Bérubé a quant à lui invité le ministre à « choisir entre le service public et ses affaires personnelles ». « Si j’étais député de la CAQ aujourd’hui, j’aurais honte », a-t-il affirmé. Pour être en politique, certaines personnes renoncent à leur vie familiale ou à s’occuper de proches malades, a-t-il ajouté. Dans le cas de M. Fitzgibbon, « ça serait plus noble parce que [le sacrifice est] financier ? Moi, je ne crois pas ça », a-t-il dit.
Il a refusé d’établir un parallèle entre la situation de M. Fitzgibbon et celle de l’ex-chef du PQ Pierre Karl Péladeau. En 2015, sa situation inédite — en tant que chef de l’opposition officielle et baron médiatique — avait amené le prédécesseur de Me Mignolet à s’interroger sur la possibilité de modifier le code d’éthique des élus. « Au Québec, on ne souhaite pas avoir un homme politique qui a des intérêts dans un média », avait alors dit François Legault.