Saga du «F.-A.-Gauthier»: la Société des traversiers blâmée par la vérificatrice générale

Au total, la mésaventure du traversier F.-A.-Gauthier aura coûté 235 millions de dollars aux contribuables québécois
Photo: STQ Au total, la mésaventure du traversier F.-A.-Gauthier aura coûté 235 millions de dollars aux contribuables québécois

Le gouvernement québécois ne reverra sans doute jamais les 235 millions $ qu’il a engloutis dans la mésaventure du traversier F.-A.-Gauthier. Il est peu probable que la Société des traversiers du Québec (STQ) entame des recours judiciaires contre le fabricant du navire.

« Je dois vous avouer qu’à la lecture du rapport de la vérificatrice générale, les sont chances minces », a affirmé son nouveau président-directeur général, Stéphane Lafaut.

Il a expliqué que la STQ avait déjà commencé à recevoir des indemnités de ses assurances, qu’elle a une part de responsabilité puisque l’entretien du navire a été inadéquat et qu’il estimait que les chances de succès étaient limités. « Est-ce qu’on est prêt à engager des sommes considérables dans un procès à l’international, a-t-il demandé. On doit mesurer les chances de succès et sur de très nombreuses années parce que ce n’est pas quelque chose qui se réglerait en quelques mois. »

La vérificatrice générale a constaté plusieurs manquements de la part de la société d’État dans un rapport accablant dévoilé jeudi. L’avenir du traversier F.-A.-Gauthier — le premier en Amérique du Nord à être propulsé au gaz liquéfié — était compromis dès la conception de l’appel d’offres pour sa construction.

« Je vous dirais que c’est une expérience à ne pas répéter », a-t-elle affirmé avec circonspection en conférence de presse.

Le navire construit en Italie au coût de 170 millions de dollars a été mis hors service durant 13 mois, de décembre 2018 à janvier 2020 après le bris de ses propulseurs. Cette défectuosité a coûté 22 millions de dollars aux contribuables, seulement trois ans après sa mise en service à la traverse Matane–Baie-Comeau–Godbout.

La Société des traversiers du Québec (STQ) a essentiellement accepté que le constructeur lui livre un navire en mauvais état sans discuter. « L’équipe de surveillance de la STQ a relevé 54 défauts qui ont été jugés non corrigibles par le constructeur et n’ont pas été réparés ou compensés pécuniairement par ce dernier », écrit Mme Leclerc dans son rapport.

Parmi ces défauts, un plancher instable, de l’isolant endommagé par l’eau, des défauts de soudure et des conduits de ventilation rouillés. De la moisissure a également été détectée sur la peinture de trois compartiments de la salle des machines, quatre mois seulement après la livraison du navire.

La vérificatrice générale conclut que la STQ « n’avait pas toutes les compétences pour mener à bien ce projet » et qu’elle « n’a pas réussi à se doter des ressources nécessaires pour pallier ce manque ». Mme Leclerc a réalisé cette enquête à la demande du Conseil du trésor à la suite de reportages faisant état de problèmes lors des travaux de construction du navire en Italie.

« Ça a été fait comme des ti-counes, a réagi le député péquiste Joël Arseneau. […] Surtout on a aucune garantie pour l’avenir à savoir que le bateau va continuer de fonctionner et adéquatement. »

Le F.-A. Gauthier est-il un citron ? « Je me suis posé la question, quel genre de bateau on a en notre possession, a admis M. Lafaut. » Il a demandé à une firme spécialisée d’inspecter le navire de fond en comble lorsqu’il était en réparation. « Les conclusions du rapport sont que le navire est généralement en bon état — ils ont identifié les mêmes troubles que nous — et que généralement il était bien entretenu. »

Le pdg de la STQ estime que le navire aura une durée de vie comparable aux autres traversiers, soit de 60 ans. Il a demandé l’élaboration d’un « plan d’optimisation » pour corriger les problèmes. « Le but est que les Québécois en aient pour leur argent, donc qu’on opère ce navire-là jusqu’à sa durée de fin de vie utile », a-t-il dit.

« Les Québécois n’ont pas à être très, très fiers de la gestion, de la conception, de la surveillance, de la livraison de ce bateau et surtout des gouvernements passés », a reconnu le ministre des Transports, François Bonnardel, en rappelant que la Coalition avenir Québec avait demandé, lorsqu’elle était dans l’opposition, que la saga du F.-A. Gauthier soit examinée par la vérificatrice générale.

Il a rappelé que Stéphane Lafaut avait pris les commandes de la STQ en 2019. « J’ai entièrement confiance en M. Lafaut, en son processus d’optimisation et de gouvernance de la Société des traversiers, qu’on ne revoit plus jamais, plus jamais, un processus aussi vicié que nous avons pu connaître avec l’achat du F.-A. Gauthier. »

Les quatre grands constats de la vérificatrice générale

Le processus d’appel d’offres ne respectait pas les pratiques de l’industrie navale, ce qui a restreint le nombre de soumissions. Des 16 entreprises qui avaient été identifiées, seulement trois ont déposé leur dossier et une seule a été jugée conforme. Il s’agit de la firme italienne Fincantieri. Le STQ avait mis fin à son contrat avec un consortium d’architecte navals et ne l’a jamais remplacé.

 

Qui plus est, la surveillance du chantier en Italie par l’équipe de la STQ a été insuffisante. L’équipe de cinq personnes ne suffisait pas à la tâche, et le chargé de projet, à qui l’on avait confié de lourdes responsabilités, répondait seulement à deux des six exigences requises pour son poste. Ce dernier a réalisé certaines inspections qui auraient dû être faites par des spécialistes, comme la vérification du système hydraulique pour deux des portes du navire.

 

Mme Leclerc ajoute que la STQ « ne s’est pas prévalue des clauses de son contrat pour faire respecter son devis technique, exiger la correction des problèmes ou le respect de la date de livraison ».

 

Enfin, la STQ n’avait pas de navire de relève en cas de bris de service, ce qui a engendré des coûts supplémentaires. Elle a d’abord fait l’acquisition de l’Apollo, puis du Saaremaa pour remplacer le F.-A.-Gauthier.

 

La vérificatrice générale émet deux recommandations, soit que la STQ se dote de ressources qualifiées et suffisantes advenant un autre projet de construction de navire « de grande envergure » et qu’elle s’assure de respecter le plan d’entretien du système de propulsion du F.-A. Gauthier.

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