Québec enclenche le processus de destitution du chef de la SQ
La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a actionné le processus de destitution du directeur général de la Sûreté du Québec (SQ) Martin Prud’homme, non sans le défier de rendre public un rapport d’experts sur les manquements éthiques qui lui sont reprochés.
L’élue s’est présentée devant les médias vendredi matin, quelques heures après que M. Prud’homme eut fait une tournée des médias pour dénoncer l’injustice dont il se dit victime. Elle a confirmé avoir transmis le dossier du directeur de police à la Commission de la fonction publique — qui fera enquête et décidera s’il y a matière à destitution — parce qu’elle a jugé « que le motif est sérieux ».
« Mettez-vous à ma place, si je considérais que c’est frivole ou que c’est mineur, on n’en serait pas rendu à mandater la Commission de la fonction publique », a lancé la ministre Guilbault.
Elle a, au passage, invité Martin Prud’homme à rendre public le rapport d’un comité d’experts sur les fautes déontologiques et éthiques qui lui sont reprochées. C’est sur la base de ce rapport — que le policier a reçu en juin selon la ministre — que le processus de destitution a été lancé.
« Si M. Prud’homme accepte que ce rapport-là soit rendu public, nous, on n’a aucune objection à ce que ce soit rendu public », a affirmé Mme Guilbault.
« Elle se décharge de sa responsabilité, elle shoote ça sur M. Prud’homme », a réagi le député libéral Jean Rousselle, lui-même un ex-policier. Il a néanmoins demandé à voir le rapport en question, avant de poursuivre. « Ça ne sent pas bon […] ça sent le règlement de compte et je trouve ça malheureux ; c’est la population qui va perdre confiance en la police. »
Québec solidaire a dit vouloir « mettre un terme à la petite politique dans la police » puisque « ça ternit nos institutions policières déjà en mal de confiance », selon le député Alexandre Leduc. « Plus que jamais, il faut introduire des civils pour briser ces dynamiques malsaines. »
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a dit vouloir rencontrer M. Prud’homme « à huis clos, et avoir accès à tous les rapports ». « Nous sommes très préoccupés par le fait que M. Prud’homme n’aurait pas eu la chance de faire valoir son point de vue », a-t-il dit.
Une « vaste partie de pêche »
Suspendu depuis plus d’un an, Martin Prud’homme a rompu le silence dans une déclaration publiée tôt vendredi. Le haut dirigeant soutient être victime d’une « vaste partie de pêche visant à [l]’associer aux fuites médiatiques » de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).
« J’apprends avec consternation et avec un sentiment profond d’injustice que le gouvernement vient de mandater la Commission de la fonction publique afin qu’elle lui fasse rapport sur ma possible destitution de la direction de la SQ », a-t-il écrit.
M. Prud’homme a été suspendu de ses fonctions en mars 2019 en raison d’« une allégation relative à des infractions criminelles » qui n’a jamais été expliquée publiquement. Un an plus tard, la ministre Guilbault a annoncé qu’aucune accusation criminelle ne serait déposée contre lui.
Le policier, qui cumule 32 ans de carrière, déplore qu’on refuse de lui donner la possibilité de livrer sa version des faits. Il a refusé d’accorder une entrevue au Devoir.
« Pendant toute la durée de l’enquête, à aucun moment, je n’ai été informé des véritables motifs de ma suspension et jamais on ne m’a rencontré pour obtenir ma version des faits, ce qui va à l’encontre des principes de justice fondamentale », avance-t-il dans sa déclaration.
M. Prud’homme laisse aussi entendre qu’il songe à poursuivre Québec. « J’entends défendre mes droits et ma réputation devant une instance juste et impartiale puisque j’ai perdu toute confiance dans la capacité du sous-pouvoir politique qui a déjà décidé que ma carrière était terminée , écrit-il. Je n’ai jamais eu le droit de me défendre adéquatement et j’en conclus aujourd’hui que je suis victime d’une volonté du gouvernement de mettre fin à 32 ans de carrière au service du public. »
Le haut dirigeant ajoute avoir été « suspendu en raison d’un appel téléphonique fait à Me Annick Murphy, directrice de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) datant du 23 octobre 2017 ». Il s’explique mal que sa destitution soit survenue « plus de 16 mois » après cet appel.
Selon lui, la conversation téléphonique a servi de prétexte pour qu’on puisse mener une enquête à son sujet. Les véritables motifs de cette investigation, soutient-il, sont ses liens d’amitié avec le député lavallois Guy Ouellette et ses liens familiaux avec l’ex-commissaire à l’UPAC Robert Lafrenière, dont il est le gendre.
« La véritable intention derrière cette enquête [était de] mener une vaste partie de pêche visant à m’associer aux fuites médiatiques [que l’UPAC impute au député Ouellette] », avance-t-il.
Il déplore la mise en branle d’une enquête administrative sur cet appel téléphonique. C’est cette enquête, menée par le Secrétariat des emplois supérieurs, que la ministre Guilbault a transmis à la Commission de la fonction publique. Celle-ci déterminera s’il y a lieu de destituer M. Prud’homme, et ce congédiement ne pourra se faire qu’avec l’accord des deux tiers l’Assemblée nationale.