Ian Lafrenière devient ministre responsable des Affaires autochtones

Le ministre a changé, mais le discours est demeuré le même : le premier ministre François Legault a refusé vendredi de reconnaître la présence de racisme systémique au Québec, disant miser sur le « nouvel élan » donné par Ian Lafrenière pour « rebâtir un peu plus de confiance entre le gouvernement et les nations autochtones ».

« S’il y a un système, je ne le connais pas », a lancé le chef du gouvernement après avoir annoncé la nomination de M. Lafrenière au poste de ministre responsable des Affaires autochtones, en remplacement de Sylvie D’Amours. « Pour moi, ce qui est important […] ce n’est pas de faire une guerre de mots, c’est de faire une guerre contre le racisme », a-t-il ajouté.

Sauf que cette lutte ne pourra commencer sur de bonnes bases sans que la présence de racisme systémique au Québec soit reconnue, ont fait valoir chefs, militants et organisations autochtones. « De le reconnaître, c’est démontrer de la sincérité envers les problèmes qui existent. S’ils continuent de refuser de reconnaître le racisme systémique dans les services provinciaux, il faut qu’on se méfie », a déclaré au Devoir le grand chef de Kanesatake, Serge Otsi Simon.

« C’est important pour la famille [de Joyce Echaquan], c’est important pour la communauté », a aussi souligné le grand chef de la nation attikamek, Constant Awashish. « Je pense que le premier ministre Legault a manqué l’opportunité de lancer un message clair de vouloir travailler avec les Premières Nations et de vouloir [les] respecter. »

La présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, a dit de la reconnaissance du racisme systémique qu’elle était « vraiment importante ». « S’il veut gagner la confiance […] il doit faire ce premier pas. C’est immanquable. De quoi avons-nous peur ? », a-t-elle demandé.

Pour la directrice générale du refuge pour femmes autochtones, Nakuset, il demeure impossible de « régler un problème si on ne le nomme pas ». Sa réaction, rapportée à François Legault par une journaliste, a été balayée du revers de la main par le chef du gouvernement. « Vous ne parlez pas du chef d’une des nations », a-t-il d’abord répondu, avant d’ajouter avoir bon espoir de mener la « lutte contre le racisme » de concert avec les Autochtones, même « sans changer sa position » au sujet du racisme systémique.

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, a fait preuve d’optimisme. « À plusieurs égards, le premier ministre reconnaît le racisme dans le système, dans les organisations », a-t-il souligné. « On peut s’acharner là-dessus, mais moi je pense que l’opportunité nous est donnée de relancer les choses, de se donner un nouvel élan », a-t-il ajouté.

Des « checks » sur le rapport Viens

Pour mission première, Ian Lafrenière devra mettre en action les recommandations du rapport Viens sur les relations entre les Autochtones et les services publics. « Ian me connaît. Il sait que la patience, ce n’est pas ma qualité principale », a lancé le premier ministre Legault. « Au-delà de nommer les choses, pour moi, ce qui est important, c’est des actions. Moi, je souhaite être le gouvernement qui aura posé le plus d’actions pour aider les Autochtones », a-t-il affirmé.

À ses côtés, Ian Lafrenière a dit avoir reçu « une commande très claire ». Pour satisfaire « la patience légendaire » du premier ministre — tel qu’il l’a décrite avec ironie —, il profitera des services d’un nouveau sous-ministre. Sous réserve de l’approbation du conseil des ministres, Patrick Lahaie remplacera la sous-ministre Marie-José Thomas, impliquée dans les affaires autochtones au sein de la fonction publique depuis le début des années 2000.

Le ministre Lafrenière devra rapidement s’attaquer aux 142 appels à l’action du rapport de la Commission Viens, qui a avait notamment mis en évidence l’insécurité que ressentent des Autochtones lorsqu’ils ont affaire au système de santé. « Sur combien [de ces appels à l’action] on peut dire check ? » a demandé le premier ministre. « Dans le dernier budget du printemps, on a mis de côté 200 millions, et il n’y a pas un sou de dépensé à [présent] », a-t-il ajouté.

Ian Lafrenière est un ancien policier et un ancien militaire. Il a fait carrière au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), où il a notamment œuvré au service des communications. Son entrée au conseil des ministres éloigne celui-ci de la zone de parité qu’avait promis d’atteindre François Legault : 18 hommes et 11 femmes en font désormais partie.

Sa carrière de policier inquiète de nombreux Autochtones, nombreux à avoir dénoncé par le passé des abus, de la violence, de la stigmatisation ou des pratiques comme les « cures géographiques », conformément au nom donné à l’abandon d’une personne, au milieu de nulle part, par des policiers.

« Nommer un ex-policier du SPVM aux Affaires autochtones, c’est comme allumer des petits incendies partout », a illustré Nakuset lors d’un entretien avec le Devoir. « Le SPVM a un historique de profilage racial : les femmes autochtones sont 11 fois plus à risque d’être apostrophées par les policiers que les [autres] », a-t-elle rappelé.

« Je ne mets pas de côté mon passé, mais j’ai démontré d’autres choses aussi », a fait valoir le ministre Lafrenière. Il a affirmé avoir l’intention de travailler à l’instauration d’une relation de confiance. « Et les gens pourront me juger sur mes actions », a-t-il ajouté.

Le remaniement: un «aveu d’échec», selon les oppositions

Les libéraux et les solidaires ont perçu un « aveu d’échec » dans la décision du premier ministre de limoger Sylvie D’Amours au profit de Ian Lafrenière. « [Le gouvernement] doit se mettre à la tâche dès aujourd’hui afin de rebâtir les ponts et pour rétablir des relations de nation à nation. Un premier pas serait de reconnaître un concept de racisme systémique. Je suis prêt à collaborer avec lui afin de faire bouger les choses de façon positive », a réagi le porte-parole de l’opposition officielle en matière d’affaires autochtones, Gregory Kelley.

« L’arrivée de M. Lafrenière ne doit pas être un prétexte pour que M. Legault puisse se défiler. Ancien policier, militaire et adjoint à la sécurité publique, M. Lafrenière devra reconnaître qu’il existe du racisme systémique au sein des corps policiers et que le SPVM faisait du profilage racial lorsqu’il en était le porte-parole », a ajouté Manon Massé, de Québec solidaire. « Cette nouvelle nomination éloigne encore de plus en plus le Conseil des ministres de M. Legault de la parité. Les femmes dans les personnes qui sont proches du premier ministre se font de plus en plus rares », a-t-elle ajouté.

Le chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, a quant à lui souhaité un bon mandat au ministre Lafrenière. « Je veux témoigner qu’il est un homme formidable qui fait l’unanimité auprès de l’ensemble des collègues pour sa gentillesse et son souci sincère de combattre l’injustice », a-t-il écrit sur Twitter, après un échange téléphonique avec l’élu caquiste.


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