Jusqu’où pourra aller la police pour contrôler les rassemblements privés?

«Est-ce qu’on demande aux policiers de rentrer sans mandat dans les maisons? Ce n’est pas simple», a reconnu le premier ministre François Legault, mercredi.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne «Est-ce qu’on demande aux policiers de rentrer sans mandat dans les maisons? Ce n’est pas simple», a reconnu le premier ministre François Legault, mercredi.

Le gouvernement québécois est aux prises avec un épineux problème pour stopper la propagation du coronavirus : la difficulté d’application des mesures de la santé publique dans les rassemblements privés. Québec serait-il en droit de permettre aux policiers d’entrer sans mandat dans les résidences privées s’ils soupçonnent des citoyens d’y tenir un rassemblement illégal ? Oui, répondent des experts consultés par Le Devoir.

La propagation de la COVID-19 a surtout lieu présentement dans ces rassemblements privés, moins dans les bars et les manifestations, a indiqué le premier ministre.

 

Le ministère de la Sécurité publique et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) sont en discussion pour tenter de trouver des pistes de solution. « Est-ce qu’on demande aux policiers de rentrer sans mandat dans les maisons ? Ce n’est pas simple », a reconnu François Legault en mêlée de presse.

Au cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, on précise que ces discussions n’ont pas pour objectif de permettre aux policiers d’entrer chez les gens sans qu’une plainte soit formulée, mais plutôt d’alléger un fardeau administratif.

Entrer sans mandat

 

L’une des options envisagées serait de permettre aux policiers de donner un constat d’infraction rapide comme ceux qu’ils remettent pour les excès de vitesse. Autrement, la procédure administrative est fastidieuse puisque le policier doit remplir un long rapport et le soumettre au DPCP.

Mais comment savoir si, dans leur domicile, les citoyens respectent la consigne sur les rassemblements qui ne doivent pas dépasser dix personnes ? Professeur à la faculté de droit de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron estime que dans le contexte d’urgence sanitaire, le gouvernement serait en droit d’autoriser les policiers à frapper à la porte d’une résidence pour s’assurer que ses occupants n’enfreignent pas les règles. Mais pas dans n’importe quelles circonstances et les interventions devraient s’appuyer sur des doutes raisonnables, prévient-il. « Le premier ministre Legault a raison de se montrer prudent en raison de l’importance que représente la résidence privée dans le droit et des dispositions qui protègent le droit à la vie privée. Essentiellement, une entrée sans mandat dans la résidence de quelqu’un, ça viole un droit fondamental », rappelle-t-il.

À l’heure actuelle, un policier peut entrer dans un domicile sans mandat dans certaines circonstances, notamment s’il croit que la vie d’une personne est en danger. Le contexte d’urgence sanitaire accorde cependant beaucoup plus de marge de manœuvre à l’État et aux policiers pour protéger l’ensemble de la population, avance M. Lampron. « Ça ne justifie pas tout, comme de faire des visites aléatoires », rappelle l’expert.

Avocat spécialisé dans les droits de la personne, Julius Grey abonde dans ce sens. « Je pense qu’il est nécessaire de ne pas considérer la Charte comme un carcan qui mettrait la sécurité des gens en danger. Ce n’est pas l’intention de la Charte. L’intention de la Charte, c’est d’empêcher les visites aléatoires et l’intrusion sans raison dans les maisons privées. »

Selon lui, l’urgence sanitaire pourrait justifier des pouvoirs accrus aux policiers en cette matière. « Je n’ai aucun doute qu’il s’agit d’une violation du droit à la vie privée, mais cette violation peut être justifiée. Le fait que ce soit dans une résidence rend le contrôle plus difficile, mais ne l’empêche pas totalement », soutient-il.

La Ligue des droits et libertés craint toutefois les abus de la part des policiers. « Le contexte de crise sanitaire ne permet pas au gouvernement d’augmenter les pouvoirs policiers à la légère et dans l’urgence », a souligné sa porte-parole Eve-Marie Lacasse, qui croit que des discussions seront nécessaires avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Et les manifestations ?

Une manifestation contre le port obligatoire du masque a rassemblé des centaines de personnes en fin d’après-midi mardi devant l’Assemblée nationale, ce qui contrevient aux recommandations sur la distanciation physique et sur les rassemblements de plus de 250 personnes qu’il faut éviter. Les partis d’opposition n’ont pas manqué de rappeler que de tels rassemblements pouvaient devenir des foyers d’éclosion.

« Est-ce qu’on veut faire des martyrs, entre guillemets, de ces personnes-là ? », a réagi M. Legault en évoquant les dérives auxquelles avaient mené les manifestations étudiantes en 2012. « Est-ce qu’on veut interdire toutes les manifestations ? Est-ce que les personnes qui sont collées, ce sont des personnes qui habitent ensemble ? Si c’est le cas, ils ont le droit. Donc, ce n’est pas si simple que ça. »

Le Québec a enregistré 303 nouveaux cas d’infection au coronavirus mercredi, de même qu’un nouveau décès auquel se sont ajoutés deux décès survenus entre le 9 et le 14 septembre. Malgré la hausse du nombre de cas, un reconfinement comme celui que le Québec a connu au printemps n’est pas envisagé, a répété le premier ministre.

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