De nombreux défis attendent les ministres après ce jeu de chaises musicales

Trésor - « Voies de passage »



​Le gouvernement Legault voulait boucler les négociations du secteur public en juin, mais en changeant de joueur il reporte l’échéance. La nouvelle présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, aura toutefois peu de temps pour s’adapter. Le premier ministre François Legault a déjà promis un salaire de 26 $ l’heure aux futurs préposés aux bénéficiaires en CHSLD présentement en formation.

« On peut imaginer qu’on va avoir convenu d’une convention collective en septembre parce que, sinon, il va y avoir un problème », a fait valoir le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Daniel Boyer. La CSN espère que Mme LeBel sera ouverte à la discussion « sans politiser à outrance la négociation du secteur public ».

La nomination de Sonia LeBel annonce-t-elle un changement de ton dans les négociations ? Lorsque Le Devoir a posé la question en conférence de presse, son prédécesseur, Christian Dubé, a répondu oui, hors micro, suscitant les rires de ses collègues. « C’est important qu’on s’entende et ce n’est pas [en grimpant] dans les poteaux qu’on pourra se parler, donc je m’attends à ce qu’on ait une collaboration aussi des syndicats, puis qu’on avance pour le Québec », a affirmé la ministre.

Sonia LeBel hérite également d’un autre dossier important que Christian Dubé n’a pas réussi à mener à terme : le projet de loi sur la relance économique. Le premier ministre Legault a indiqué qu’il s’attendait à ce que le projet de loi soit bonifié cet automne pour accélérer la construction d’environ 200 projets au Québec, « sans laisser la place à la corruption » ni à des « compromis du côté de l’environnement ».

L’ex-procureure en chef de la commission Charbonneau tentera donc de trouver des « voies de passage » pour y parvenir. « On avait déjà écarté beaucoup de choses qui étaient problématiques, entre autres le fameux article 50, a-t-elle rappelé. On est en train de retravailler l’article 50.1. » L’article 50 permettait au gouvernement de contourner les règles normalement applicables de gestion des contrats publics. L’article 50.1 prévoyait la même chose pour les municipalités.

Mylène Crête

 

Santé - Manoeuvrer le paquebot



« Comme surprise, c’est réussi ! » Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN), était loin de s’attendre un tel remaniement ministériel. « Au milieu d’une pandémie, ça me semble curieux », dit-il.

Jeff Begley salue le travail de l’ancienne ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann. « J’avais des préoccupations avec certaines façons de faire, nuance-t-il. Mais il y avait de l’écoute. »

Quant au nouveau ministre, Christian Dubé, la FSSS-CSN « donne la chance au coureur ». « On va souhaiter qu’il n’y ait pas un retour à la façon Barrette », dit Jeff Begley.

Même réaction du côté de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS). « On ne veut pas revenir à se faire gérer comme une entreprise privée, dit sa présidente, Andrée Poirier. On ne veut pas faire les frais de la récession liée à la pandémie. »

Le nouveau ministre affrontera plusieurs défis. Le capitaine du paquebot de la santé pourrait faire face à une deuxième vague de COVID-19 dès cet automne. La pandémie a révélé plusieurs écueils.

Le réseau de la santé est « hautement bureaucratisé et centralisé », un « legs » de l’ancien ministre de la Santé, le Dr Gaétan Barrette, souligne David Levine, ancien président-directeur général de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal.

« Le ministre et le sous-ministre devront revoir la structure actuelle, pense-t-il. Est-elle la plus efficace ? On a enlevé beaucoup d’autonomie et de créativité aux travailleurs. »

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) croit que Christian Dubé doit notamment modifier les ratios professionnels-patients. « Quand le nombre de professionnels sur un quart de travail correspond aux besoins des patients, ça fait toute la différence », dit la présidente, Nancy Bédard.

Elle souligne que des postes à temps complet demeurent vacants, parce que les employés vivent avec une surcharge de travail au quotidien.

David Levine croit que Christian Dubé devra également se pencher sur la différence de salaire entre les préposés aux bénéficiaires en CHSLD (ils gagneront 49 000 $) et ceux travaillant ailleurs. « Une personne dans un hôpital qui aide un patient ayant le cancer, c’est un préposé aussi », dit David Levine.

Marie-Eve Cousineau

  

​Éducation - Rentrée incertaine



Malgré les nombreuses critiques à son endroit pour sa gestion de la crise ces derniers mois, Jean-François Roberge garde son poste de ministre de l’Éducation. Il perd toutefois la responsabilité de l’enseignement supérieur, tâche confiée à l’ancienne ministre de la Santé, Danielle McCann.

Se sentant oublié, noyé dans le grand bateau de l’éducation primaire et secondaire depuis deux ans, le milieu de l’enseignement supérieur se réjouit d’avoir à nouveau une interlocutrice attitrée au cabinet, la dernière ayant été la libérale Hélène David.

« Il ne semblait pas se dégager de vision pour l’enseignement supérieur au sein du gouvernement Legault, affirme Benoit Lacoursière, secrétaire général de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec. La CAQ a présenté très peu d’engagements électoraux en lien avec l’enseignement supérieur, et ça s’est poursuivi comme ça depuis deux ans. »

Même son de cloche du côté de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep. « On est vraiment ravis [de l’arrivée de Mme McCann], d’autant plus qu’on n’a pas senti que Jean-François Roberge avait une grande préoccupation pour l’enseignement supérieur », affirme la présidente, Lucie Piché.

Le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, a pour sa part tenu à remercier le ministre sortant pour son « écoute ». Il évoque par la même occasion « l’ampleur de la tâche à accomplir » pour Mme McCann.

Son plus grand défi sera incontestablement celui de la rentrée, qui s’annonce difficile et incertaine en raison de la COVID-19.

« On peut présumer que c’est de la considération de la part du premier ministre pour le milieu universitaire d’amener un des éléments forts de son gouvernement », estime Jean Portugais, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université. Son arrivée arrive juste à temps pour les consultations de l’automne concernant la publication du rapport sur l’avenir des universités, se réjouit-il. « Je pense que le choix du gouvernement annonce ce qui s’en vient comme dossier important. »

Jessica Nadeau

 

Justice - Stratégie de défense



En héritant du ministère de la Justice et du rôle de Procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette se retrouve maintenant impliqué dans la stratégie de défense de sa propre Loi sur la laïcité de l’État, qu’il a fait adopter il y a à peine un an.

La législation, qui interdit le port de signes religieux à certains employés de l’État, est contestée par Ichrak Nourel Hak, une jeune diplômée en enseignement qui porte le hidjab avec l’appui du Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles.

Le ministre Jolin-Barrette avait toutefois pris soin d’inclure dans sa loi une disposition de dérogation pour la soustraire à l’application des chartes canadienne et québécoise des droits de la personne afin d’éviter qu’elle soit invalidée. Or, avec ses nouvelles responsabilités, le « plus jeune ministre de la Justice de l’histoire du Québec » se retrouve désormais au poste de défenseur de la Charte québécoise, qui garantit la liberté de religion.

Le Barreau du Québec a félicité le ministre Jolin-Barrette pour sa nomination sans faire davantage de commentaires. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui avait exprimé de vives inquiétudes durant le débat sur la laïcité, s’est abstenue.

« J’espère sincèrement que le remaniement ne nuira pas à l’avancement du travail transpartisan au sein de notre comité (à 4 têtes des 4 partis) pour l’accompagnement des victimes de violence sexuelle et conjugale. C’est trop important », a réagi sur Twitter la porte-parole du Parti québécois en matière de justice, Véronique Hivon.

M. Jolin-Barrette est connu pour son ton vif lors de la période des questions lorsqu’il intervient à titre de leader parlementaire. Or, ce ton partisan sied moins bien aux rôles de ministre de la Justice et de Procureur général, qui exigent un certain devoir de réserve.

Mylène Crête

 

Immigration - « Meilleures bases »



Simon Jolin-Barrette se voyant confier le dossier de la justice, il cède sa place de ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration à Nadine Girault, qui conserve ses fonctions aux Relations internationales.

Elle reprendra le dossier de l’Immigration avec « une connaissance et une expérience de la diversité », a souligné le premier ministre au point de presse suivant l’annonce officielle. La femme politique d’origine haïtienne conserve la coprésidence du tout récent Groupe d’action contre le racisme créé par la CAQ.

Plusieurs dossiers chauds pour lesquels le député de Borduas avait été vivement critiqué restent en suspens, dans l’attente d’une approche différente, peut-on comprendre de cette décision du premier ministre.

Un lot de défis attendent la nouvelle ministre de l’Immigration. Elle devra notamment se pencher sur la réforme du Programme de l’expérience québécoise, la réduction des seuils d’immigration en contexte de pandémie, la régularisation du statut des demandeurs d’asile qui ont œuvré dans le domaine de la santé ou même la refonte du programme de parrainage de réfugiés.

« Jolin-Barrette s’est mis à dos beaucoup d’alliés naturels, comme les chambres de commerce, les universités, le réseau communautaire et les syndicats dans différents dossiers. Ça va être plus facile pour un politicien de partir sur de meilleures bases », a déclaré Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

Le ministre prendra la place de Sonia LeBel au ministère de la Justice, en conservant les dossiers de la Langue française et de la Laïcisation, ainsi que ses fonctions de leader parlementaire.

 

Le passé libéral «assez engagé» de la nouvelle ministre laisse présager une vision «plus nuancée sur les questions d’immigration» ainsi qu’un style plus consensuel, estime M. Reichhold. Il craint toutefois que ses responsabilités au ministère des Relations internationales lui fassent délaisser celles de l’Immigration.

Sarah Rahmouni

  

​Déceptions - Surprise et convoitise



Plusieurs ministres critiqués au cours des derniers mois demeurent en poste. C’est le cas de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, qui reste malgré la crise dans les CHSLD. « Le maintien de Mme Blais aux Aînés surprend plusieurs personnes, a réagi la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé. Elle doit maintenant s’engager à changer complètement ses façons de faire et livrer la marchandise pour protéger les personnes âgées. »

Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, dont le projet de loi 44 est vivement critiqué par les groupes environnementaux, garde les mêmes responsabilités, mais accède du même coup au comité des priorités de la relance économique, dirigé par son collègue aux Finances, Eric Girard. Il s’agit d’une « nouvelle encourageante », selon Greenpeace, qui demande un « plan climatique crédible » et une relance verte. « Nous espérons que le ministre Charette servira de bougie d’allumage pour ce gouvernement qui traîne la patte en matière d’environnement, alors que les effets des changements climatiques se font grandement sentir avec une intensification des feux de forêt et des canicules, que les météorologues qualifient de sans précédent au Québec », a affirmé le responsable de la campagne Climat-Énergie pour l’organisme, Patrick Bonin.

Sur les banquettes arrière du Salon bleu, certains députés se demandaient lundi quand viendrait leur tour d’accéder au Conseil des ministres. Ils ont reçu un message le matin leur annonçant le remaniement, mais on ne leur a pas encore expliqué, en personne, les tenants et aboutissants de la réflexion du premier ministre.

Certains s’inquiètent de se trouver confinés à l’arrière-ban jusqu’à la prochaine élection, étant donné la faible probabilité d’un nouveau remaniement avant la fin du mandat caquiste dans deux ans. Reste que ce remaniement était très centré sur la gestion de la pandémie, de quoi raviver les espoirs de voir les cartes rebrassées dans un avenir plus ou moins rapproché.

Mylène Crête avec Marie-Michèle Sioui

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