Projet de loi 61: le gouvernement Legault perd son pari

Le pari était risqué : faire adopter un projet de loi omnibus sur la relance économique en dix jours avec le consentement des partis d’opposition et des députés indépendants. Le gouvernement Legault a eu beau plaider l’urgence et rallier les grandes associations municipales, il n’a pas réussi à convaincre ses adversaires de la nécessité de lui accorder des pouvoirs exceptionnels durant deux ans. Les travaux de l’Assemblée nationale ont été ajournés pour la relâche estivale vendredi, reportant ainsi le débat à l’automne. Voici un aperçu en cinq points des enjeux qui ont soulevé la controverse.
1. Relance économique
Après avoir devancé l’équivalent de 2,9 milliards de dollars en projets d’infrastructure, le gouvernement Legault désirait accélérer leur construction pour stimuler l’économie québécoise durement touchée par la pandémie. « Notre gouvernement pose un geste responsable aujourd’hui », avait déclaré le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, le jour du dépôt de son projet de loi le 3 juin. Le gouvernement estimait alors les retombées économiques à 2,3 milliards de dollars. Maisons des aînés, CHSLD, hôpitaux, écoles, réfection de routes et transports collectifs… En tout, 202 projets déjà inscrits au Plan québécois des infrastructures (PIQ) étaient ciblés, dont le prolongement du Réseau électrique métropolitain de transport collectif (REM) et le prolongement de la ligne bleue du métro à Montréal. Des projets « cruciaux pour le développement économique du Québec et de ses régions », selon la Fédération des chambres de commerce du Québec. Le ministre aurait eu le pouvoir d’ajouter d’autres projets par décret à condition qu’ils répondent à deux conditions, soit d’accroître l’autosuffisance médicale ou l’autonomie alimentaire. Le ministre Dubé avait par la suite ajouté des dispositions pour empêcher l’éviction des commerces incapables de payer leur loyer et pour permettre à tous les restaurateurs de livrer de l’alcool. Les partis d’opposition s’étaient dits disposés à adopter celles-ci séparément du reste du projet de loi. « On ne lâchera pas, a affirmé M. Dubé après sa rebuffade vendredi. On va trouver des solutions. On va essayer de trouver des solutions, mais est-ce que c’est certain que ça retarde ? La réponse, c’est oui. » Or, certains projets prendront plus de temps à se réaliser, selon lui, parce qu’ils ne pourront pas bénéficier de la procédure d’expropriation allégée prévue dans son projet de loi. « Avec ce qui vient d’arriver, oubliez ça, la ligne bleue », a-t-il dit.
2. État d’urgence sanitaire
Le gouvernement prévoyait au départ d’étendre l’état d’urgence sanitaire jusqu’à ce qu’il décide d’y mettre fin. Outre le pouvoir d’ordonner la vaccination obligatoire, la fermeture des écoles ou d’interdire l’accès à un territoire, cette disposition de la Loi sur la santé publique lui donne aussi le pouvoir de « faire des dépenses et de conclure les contrats qu’il juge nécessaires ». Cette loi prévoit le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire tous les dix jours, ou pour une période maximale de 30 jours avec l’accord de l’Assemblée nationale. Ce délai agit comme « rempart » aux larges pouvoirs dont le gouvernement dispose durant cette période, a rappelé le Barreau du Québec en commission parlementaire mercredi. « L’inconvénient pour le gouvernement de devoir renouveler l’état d’urgence tous les dix jours est relativement faible et je dirais même insignifiant », a affirmé le bâtonnier, Paul-Mathieu Grondin. La protectrice du citoyen, Marie Rinfret, a suggéré de le limiter à six mois. Le gouvernement a finalement accepté de le circonscrire jusqu’au 1er octobre 2020, ce qui aurait donné un peu plus de trois mois si le projet de loi 61 avait été adopté avant la relâche estivale. « L’urgence sanitaire amène des effets pervers aussi parce que ça permet au gouvernement de passer des arrêtés en conseil, de ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut, a indiqué le député indépendant Guy Ouellette. Et c’est en train de créer des dommages collatéraux très importants et de créer des inégalités chez nos anges gardiens. »
3. Intégrité
La ministre Sonia LeBel, ex-procureure de la commission Charbonneau, a reconnu vendredi qu’elle avait travaillé au retrait de l’article 50 du projet de loi, perçu comme une invitation au retour de la collusion et de la corruption. Cet article permettait au gouvernement de déroger à la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) pour conclure des contrats de gré à gré et ne plus se plier à la règle du plus bas soumissionnaire. De nombreux groupes, dont le Barreau du Québec, la vérificatrice générale, le Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal et le Comité public de suivi des recommandations de la commission Charbonneau ont mis le gouvernement en garde. Le ministre Christian Dubé a retiré l’article 50, mais a ajouté l’article 50.1 qui pose le même problème, selon ce comité formé de quatre chercheurs. En vertu de ce nouvel article, ce sont les municipalités qui auraient le droit de modifier, voire de contourner, les règles de gestion des contrats publics normalement applicables. En clair, Québec donnerait « carte blanche » aux organismes municipaux, résume en entrevue Luc Bégin, universitaire et membre du comité de suivi. Une situation d’autant plus inquiétante que les sommes actuellement en jeu sont « énormes », rappelle-t-il. « J’ai travaillé sur le retrait de l’article 50 et je travaille présentement sur les améliorations potentielles à l’article 50.1 pour le rendre raisonnablement acceptable, pour rassurer les citoyens que les garde-fous sont en place, tout en respectant les objectifs qui sont véhiculés par ma collègue du ministère des Affaires municipales et des municipalités », a affirmé la ministre LeBel vendredi. Son collègue Christian Dubé a rappelé qu’il a ajouté un autre amendement pour accélérer les paiements du gouvernement aux entreprises de construction comme le prévoit la recommandation 15 de la commission Charbonneau. Les partis d’opposition réclamaient également plus de pouvoirs pour l’Autorité des marchés publics, ce que le ministre a promis de faire à l’automne en déposant un autre projet de loi. Plusieurs intervenants, dont la vérificatrice générale, avaient soulevé en commission parlementaire qu’il fallait corriger l’inefficacité de l’appareil gouvernemental.
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«Bulletin de la pandémie», la chronique de Michel David4. Environnement
Les mesures incluses dans le projet de loi 61auraient accéléré les consultations populaires en amont de l’évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Elles auraient aussi permis au ministre de l’Environnement d’autoriser directement une compensation financière lorsqu’un projet de construction entraînerait la destruction d’un milieu humide, d’un habitat floristique ou faunique, et notamment celui d’une espèce menacée. Plusieurs groupes ont fait valoir que cette disposition permettait de contourner les lois environnementales. Le ministre Christian Dubé a tenté de refermer cette brèche en incluant le principe qui veut qu’un promoteur doive d’abord éviter de détruire un habitat. S’il en est incapable, il doit minimiser les impacts de son projet. La compensation financière pour la destruction de l’habitat naturel étant un dernier recours. Équiterre, le Centre québécois du droit de l’environnement, Greenpeace, la Fondation David Suzuki et la Société pour la nature et les parcs (SNAP) Québec ont estimé qu’il s’agissait d’une « avancée marginale ».
5. Droits ancestraux
Le projet de loi 61 a également fait grincer des dents l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL). « Le contexte exceptionnel d’une pandémie ne dispense en aucun cas les gouvernements fédéral et provinciaux de respecter leurs obligations envers les droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations », a déclaré le chef Ghislain Picard. Il a fait valoir en commission parlementaire que des projets pourraient être entrepris sur des territoires non cédés avant de consulter les communautés autochtones touchées et donc d’obtenir les droits requis pour aller de l’avant. Il a invité le gouvernement Legault à se conformer à Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de profiter de l’impasse avec les partis d’opposition pour inclure « les droits fondamentaux » des Premières Nations.