Le patrimoine laissé à l’abandon

Manque de vision, stratégie inadéquate et absence de leadership, constate une enquête du bureau du Vérificateur général devant le pauvre bilan de l’État en matière de préservation du patrimoine des Québécois. L’État n’est même pas exemplaire, comme la loi l’engage pourtant à l’être, documente l’audit dévastateur déposé devant l’Assemblée nationale.

Ministre de la Culture et des Communications depuis octobre 2018, Nathalie Roy estime que ce rapport constitue une sorte de bulletin scolaire. « C’est un bulletin avec un gros “E” dessus », a répété Nathalie Roy, mais en renvoyant la balle aux gouvernements précédents. La ministre Roy a minimisé d’emblée sa responsabilité. Cela « faisait cent jours que j’étais là » lorsque cette enquête a été déclenchée. Pour elle, il s’agit donc du bulletin de la gestion des précédents gouvernements en matière de patrimoine. La ministre a aussi prétendu, en mêlée de presse, qu’elle avait plus fait pour le patrimoine en 19 mois que toutes les administrations précédentes au cours des dernières décennies.

Pour Dinu Bumbaru, d’Héritage Montréal, « le rapport de la VGQ montre bien qu’en matière de patrimoine, il y en a beaucoup, au gouvernement et dans les administrations publiques ou municipales, qui n’ont pas attendu les instructions du Dr Horacio pour s’en laver les mains ». Il faut des actions rapides, demande-t-il.

Ce rapport tombe comme une masse sur le ministère de la Culture (MCC). Il se voit reprocher de ne pas avoir « entrepris les démarches nécessaires pour promouvoir le patrimoine comme un actif important de notre société ni pour sensibiliser les citoyens et l’ensemble des acteurs du milieu à sa valeur inestimable et irremplaçable » pour un peuple, en tant que « partie intégrante de son identité culturelle », comme « héritage légué aux générations futures ».

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La maison Charbonneau, construite au XVIIIe siècle à Laval, est inscrite au registre des biens culturels depuis 1977.

Le bureau du Vérificateur général cite plusieurs cas de biens pourtant protégés et laissés néanmoins à l’abandon. Celui par exemple du moulin du gouffre à Baie-Saint-Paul ou encore de l’immeuble de la centrale électrique des Cèdres. Une multitude d’immeubles patrimoniaux sont en fait tombés au cours des derniers mois, comme le savent bien les lecteurs du Devoir. 

Le ministère ne possède même pas « d’information sur l’état de plusieurs immeubles patrimoniaux classés ou situés sur un site patrimonial classé ».

Près de 40 % des biens demeurent sans inspection après quatre ans. Sur les 41 immeubles et sites patrimoniaux nécessitant d’importants travaux d’entretien, compte tenu des données partielles disponibles, 20 n’ont pourtant pas été inspectés dans le cadre d’une tournée régionale, alors que 15 ont été inspectés il y a plus de trois ans.

Pas de cadre

 

Quand vient le temps de classer des biens collectifs, le cadre d’évaluation du ministère apparaît approximatif. Les analyses sont de qualité variable et peu documentées. Des délais très longs nuisent à la préservation : 40 % des traitements de demande de classement de biens patrimoniaux prennent plus de 5 ans. Plus de 10 ans dans 20 % des cas. Pendant ce temps, les biens se dégradent. Qui plus est, le ministère apparaît « rarement à l’origine d’initiatives d’échanges et de partenariats entre les citoyens et les acteurs du milieu ».

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Alors que le développement des métiers traditionnels s’avère plus que jamais nécessaire pour la restauration et le maintien des bâtiments, comme l’ont déjà constaté deux rapports financés par l’État en 1994 et 2011, aucune ressource financière, en date de février 2020, n’était encore prévue pour apporter les correctifs nécessaires.

Municipal ou national ?

Que fait le MCC pour protéger des bâtiments dans l’intérêt du public ? La vérificatrice générale regrette que « la seule position prise par le ministère consiste à classer seulement les immeubles auxquels il attribue un “intérêt national” », sans baliser ses critères, en laissant de la sorte entièrement aux villes et aux municipalités l’immense charge du patrimoine immobilier qui, selon lui, présente un intérêt régional ou local.

Or, cette « notion d’intérêt national n’est pas définie », sans compter que « la position du MCC n’a pas été communiquée ni expliquée adéquatement » aux municipalités, laissées à elles-mêmes, tout comme les propriétaires d’immeubles patrimoniaux.

Les municipalités se retrouvent devant des cas patrimoniaux dont on leur impute la responsabilité, mais sans qu’elles soient en mesure de réagir en fonction d’un cadre qui est complètement ignoré par la majorité d’entre elles. Le MCC n’a d’ailleurs jamais convenu avec les municipalités de ce qui doit être mis en place pour l’appuyer dans ses responsabilités légales de sauvegarde du patrimoine bâti.

Pointé du doigt, le ministère l’est encore pour ne pas avoir « pris d’initiatives pour les accompagner », n’intervenant que « sur demande de ces dernières », en fournissant peu de soutien. Sans expertises dans ces dossiers, les municipalités indiquent à 80 % qu’elles n’ont reçu « aucune communication du MCC en lien avec une vision du patrimoine immobilier ».

Peut-on d’ailleurs s’en remettre aux municipalités pour préserver le patrimoine, dans la mesure où le principal revenu des municipalités provient de l’impôt foncier ?

Les municipalités, constate le rapport, peuvent être « enclines à autoriser la démolition d’un immeuble pour le remplacer par un bâtiment avec un potentiel de taxation supérieur, malgré son intérêt patrimonial et sans évaluer les bénéfices de le sauvegarder ».

Par ailleurs, aucun mécanisme de suivi des interventions des municipalités n’a été mis en place.

Sur la défensive, la ministre Nathalie Roy a expliqué qu’elle avait appris dans ce rapport qu’il n’y a même pas de cadre d’évaluation du patrimoine approuvé par un ministre au sein de la structure dont elle a pourtant la charge. « Ça m’a scié les jambes », a-t-elle dit.

L’élue péquiste Méganne Perry Mélançon a demandé à la ministre Roy de prendre ses responsabilités rapidement. Du côté de Québec solidaire, le député Vincent Marissal constate que « le règne des pics des démolisseurs n’est pas près de finir, malheureusement, au Québec ».

Avec Marco Bélair-Cirino

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