Négocier en temps de crise

Christian Dubé, président du Conseil du Trésor
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Christian Dubé, président du Conseil du Trésor

Le gouvernement Legault et les centrales syndicales sont engagés dans un sprint de négociation en vue d’arriver à une entente d’ici dimanche, dans cinq jours, sur le renouvellement des conventions collectives des 550 000 employés de l’État, a appris Le Devoir.

Les négociateurs du gouvernement ont demandé aux grandes centrales syndicales, tard lundi soir, de se lancer dans ce blitz de négociation en pleine crise du coronavirus.

 

Des sources patronales et syndicales confirment que le Conseil du Trésor propose une entente sur trois ans prévoyant des hausses salariales équivalant à l’indice des prix à la consommation. Le gouvernement souhaite régler rapidement les négociations pour pouvoir consacrer toute son énergie à gérer la pandémie de coronavirus, qui a plongé le Québec et le monde entier dans une crise économique et de santé publique sans précédent.

« Il y a bel et bien eu une invitation à négocier de façon plus rapide qui a été faite à tous les syndicats. Nous avons également établi un cadre de négociation », confirme le cabinet de Christian Dubé, président du Conseil du Trésor.

Ce geste du gouvernement Legault divise les syndiqués de l’État — et les syndicats eux-mêmes —, qui n’ont pas tous le même empressement à signer un nouveau contrat de travail. Les grandes centrales tentaient mardi d’informer leurs membres de la tenue de ces négociations accélérées.

En privé, des représentants syndicaux déplorent la « pression indécente » mise sur les employés de l’État pour signer de nouveaux contrats de travail en pleine crise du coronavirus. Le Conseil du Trésor est tellement pressé de négocier que les syndicats craignent de ne pas pouvoir consulter leurs membres sur une éventuelle entente de principe. Tous les rassemblements, y compris les assemblées syndicales, sont interdits au nom de la lutte contre le coronavirus. Les syndicats ne sont pas nécessairement prêts à gérer un vote à distance.

Comme les syndicats ne font pas front commun, chaque centrale tente de négocier des clauses convenant à ses besoins.

La santé sur la ligne de front

 

Les 200 000 travailleurs de la santé avaient déjà reçu une offre du gouvernement la semaine dernière, dans la foulée de la pandémie. L’offre prévoyait un contrat sur trois ans avec des hausses de salaire au niveau de l’inflation ainsi que des primes.

Mardi, les infirmières ont annoncé qu’elles sont prêtes à négocier. « Nous le disons depuis le début de la crise : il faut des mesures exceptionnelles pour une situation exceptionnelle », a expliqué la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), Nancy Bédard, dans un communiqué.

Elles s’attendent à recevoir une hausse de salaire rétroactive pour tout le personnel engagé dans la lutte contre la COVID-19. Les infirmières actives sur le front recevraient aussi une prime de 14 %, comparable à celle qui est déjà offerte en temps normal à celles qui œuvrent dans les soins les plus critiques, comme les soins intensifs.

Du côté de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui inclut notamment les techniciens, psychologues et travailleurs sociaux, on a dit mardi avoir « entamé des discussions » avec le gouvernement, mais qu’aucune offre formelle n’avait été présentée. Avant l’éclosion du coronavirus, la FIQ et l’APTS avaient demandé une augmentation salariale de 21,6 % sur trois ans.

La crise d’abord

La CSN propose pour sa part de suspendre les négociations pour une période de 18 mois, mais réclame une série de primes reliées à la crise du coronavirus :

— ajustements salariaux annuels de 2,2 % pour 2020 et 2021 pour tous les employés du secteur public en santé et en éducation, ainsi que dans les organismes gouvernementaux ;

— prime de 3 dollars l’heure pour tout le personnel de la santé et des services sociaux et pour tous les autres salariés du secteur public qui seraient appelés à contribuer aux efforts de lutte contre la COVID-19. Cette prime serait majorée à 4 dollars l’heure pour certains salariés augmentant leur disponibilité ;

— heures supplémentaires rémunérées à taux double.

« Nous le disons depuis des mois, et la crise ne fait qu’accentuer cet état de fait, le personnel des services publics a besoin d’une véritable reconnaissance. Dans le contexte actuel, où nombre de travailleuses et de travailleurs sont sur la ligne de front, cette reconnaissance doit s’incarner par des gestes concrets du gouvernement pour améliorer les conditions salariales et les conditions de travail en temps de crise », indique un message transmis lundi soir aux syndicats locaux de la CSN.

Inquiétudes en éducation

 

De leur côté, 250 représentants syndicaux de la CSQ se sont rencontrés par vidéoconférence mardi soir pour faire le point sur les négociations. « Pour nous, il est primordial de parler à nos organisations locales. Il faut expliquer les choses à notre monde », indique Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, affiliée à la CSQ.

Le syndicat est prêt à contribuer à l’effort collectif de lutte contre le coronavirus, mais tient à préparer l’après-crise dans le réseau de l’éducation, explique-t-elle. En privé, des professeurs de tous les niveaux d’enseignement craignent que le gouvernement rogne dans les conditions d’exercice de la profession en échange d’augmentations salariales dans cette période de crise.

Des sources syndicales disent craindre un allègement des mesures de sécurité d’emploi, notamment pour les enseignants précaires, des atteintes à l’autonomie professionnelle, un retrait de la nécessité de consulter les syndicats sur certains enjeux, notamment la formation à distance au niveau collégial, ainsi que des clauses accordant davantage de « flexibilité » aux gestionnaires, notamment pour l’offre de formation continue.

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