Les PM des provinces veulent parler à Trudeau

Le premier ministre, François Legault, s’est retrouvé isolé mercredi après avoir lancé un ultimatum et envisagé de déloger par la force les manifestants autochtones qui bloquent le réseau ferroviaire du pays. Ni Justin Trudeau ni ses homologues provinciaux ne lui ont emboîté le pas, préférant encore miser sur le dialogue pour dénouer la crise.
En matinée mercredi, François Legault a fixé un ultimatum de quelques jours aux manifestants autochtones, avant de les avertir qu’il n’excluait pas de les déloger par la force. On « a eu des discussions avec la Sûreté du Québec », a-t-il lancé, avant d’appeler à une action policière « coordonnée à travers le pays », en vertu du « leadership » dont Justin Trudeau doit faire preuve selon lui.
À Ottawa, seuls les conservateurs — qui réclament une intervention policière à hauts cris — y ont vu une bonne idée. Les chefs du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique, comme Justin Trudeau et ses ministres, ont plutôt dit qu’ils craignaient une escalade des tensions.
Au 14e jour de ces barrages, qui ont été érigés en appui aux chefs héréditaires wet’suwet’en qui s’opposent au projet de gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique, Justin Trudeau a quelque peu haussé le ton. « Les gens font face à des pénuries. Les gens font face à des mises à pied. C’est inacceptable », a-t-il scandé, en parlant désormais de manifestations inadmissibles. Le premier ministre et ses troupes ont reconnu que leurs commettants commençaient à s’impatienter. Mais tous ont continué de prôner la patience, pendant que les ministres responsables du dossier assuraient que les négociations avec les communautés autochtones se poursuivaient et qu’on pouvait constater des progrès.
Pas d’échéancier, mais un appel
Justin Trudeau a refusé de commenter la sortie de son homologue québécois. C’est son ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, qui y a réagi. « Quand on parle de forces policières, ça [rappelle] toute la panoplie historique […] en ce qui concerne les relations houleuses [que les Autochtones] ont eues avec les forces de la police », a-t-il souligné. « C’est clair qu’il y a de la frustration et je comprends très bien ce que M. Legault essaie de transmettre comme message. Mais encore faut-il réaliser que nous cherchons tous la solution qui est pacifique. »
Ce n’est pas encore une crise nationale, mais nous y sommes presque
Son collègue à la Sécurité publique, Bill Blair, a quant à lui rejeté la proposition de François Legault. « Je suis réticent à l’idée d’imposer un échéancier, car ce n’est pas un moyen efficace de négocier », a-t-il dit.
Ce « moyen efficace », les premiers ministres des provinces ont dit espérer le trouver dans l’appel téléphonique auquel ils convient ce jeudi le premier ministre Trudeau. Dans un communiqué envoyé en début de soirée, ils ont invité le chef du gouvernement canadien à discuter avec eux « de moyens pouvant mener à une solution pacifique et mettre fin aux blocages illégaux ».
De l’avis du premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, il faudra que M. Trudeau profite de cette discussion pour exposer son plan de sortie de crise, sans quoi « il y aura escalade ».
« On voit déjà tout plein de gens qui n’ont pas de lien avec la question autochtone s’impliquer dans l’affaire au nom de l’environnement, etc. Ça prend une nouvelle dimension et il y a un risque qu’on perde de vue les raisons à l’origine de la situation », a-t-il dit au Devoir. Selon lui, « ce n’est pas encore une crise nationale, mais nous y sommes presque ».
Les chefs mohawks se braquent
La proposition de François Legault a été mal reçue par des représentants mohawks. Le grand chef de Kanesatake, Serge Otsi Simon, a invité le premier ministre « à réfléchir davantage » avant de réclamer une intervention des corps policiers. Il a retiré ses propos appelant à la levée de barricades, en dénonçant le fait qu’ils aient été repris par certaines personnes souhaitant « diviser et conquérir les Premières Nations du Canada ».
À Kahnawake, le grand chef Joe Norton a été formel : « Tout le monde » — les élus comme les résidents — s’assurerait de barrer la route aux forces de l’ordre si elles devaient tenter d’entrer dans sa communauté.
Une intervention policière à Kahnawake nécessiterait un ordre de la Cour, « statuant qu’il y a des gestes illégaux qui sont commis, en vertu de la loi québécoise ou canadienne », a poursuivi le chef. Mais un tel document judiciaire n’aurait aucun effet sur sa communauté, a-t-il ajouté.
Du reste, Kahnawake a déjà son service de police, les Peacekeepers. Et celui-ci ne répond pas aux ordres des tribunaux, a souligné le chef Norton. « Ils [les Peacekeepers] viendraient nous voir [au Conseil de bande] et nous demanderaient : “Qu’est-ce qu’on fait ?” Et on leur dirait : “Vous ne pouvez pas appliquer une injonction à Kahnawake. Vous êtes notre service de police, pas le leur.” »
Aux premiers ministres du pays, Joe Norton a suggéré de privilégier le dialogue ; de parler « d’une seule voix » et de garantir la consultation « juste et honnête » des Autochtones dans le cadre des projets de développement majeurs. « Ils ne peuvent pas juste se rendre devant les tribunaux, obtenir une injonction, intervenir par la force et utiliser la police pour chasser des gens de leur propre territoire. C’est ça qui se passe. Cette manière de faire doit cesser. Ils ne peuvent plus faire ça », a-t-il lancé.
Bennett tend la main
Depuis Ottawa, la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett a renouvelé, par écrit, sa demande aux chefs héréditaires de Wet’suwet’en de les rencontrer. Elle se rendra en Colombie-Britannique dès jeudi pour être à leur disposition.
Mais le chef héréditaire Woos a argué sur les ondes de la CBC que rien ne bougerait tant que la GRC se trouverait sur les terres de sa communauté. « Tous les chefs héréditaires, de concert, nous avons décidé que nous ne parlerons pas aux ministres, nous ne parlerons pas au gouvernement tant que la GRC n’aura pas entièrement quitté nos terres territoriales », a-t-il affirmé.
Ces chefs ont quitté l’ouest du pays pour aller remercier les Mohawks de Tyendinaga, en Ontario, d’avoir érigé des barrages en appui à leurs revendications — ce qui retardera d’autant plus toute possible rencontre avec Ottawa et Victoria. L’un des ministres fédéraux pourrait cependant profiter de leur passage en Ontario pour aller à leur rencontre cette semaine, a-t-on expliqué au Devoir.
Avec Hélène Buzzetti et Marco Bélair-Cirino