Aide médicale à mourir: le choc des lois

L’avocat Jean-Pierre Ménard demande au gouvernement québécois de s’assurer que l’aide médicale à mourir soit offerte aux personnes n’étant pas en fin de vie dès le 12 mars prochain comme la Cour supérieure l’a prescrit que le sursis d’Ottawa pour donner suite au jugement Gladu-Truchon soit accordé ou non.
Selon Me Ménard, les médecins qui octroieront l’aide médicale à mourir à une personne dont la « mort naturelle [n’est pas] raisonnablement prévisible » doivent être à l’abri de toute poursuite, et ce, dans la mesure où ils respectent à la lettre la Loi québécoise sur les soins de fin de vie.
Me Ménard presse la procureure générale du Québec, Sonia LeBel, d’envoyer un avis au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) en ce sens. Actuellement, il n’y a « pas de volonté politique claire de le faire », regrette-t-il.
Le 12 septembre dernier, la Cour supérieure avait déclaré inconstitutionnelles, à la demande de ses clients Nicole Gladu et Jean Truchon, les exigences de « fin de vie » de la législation québécoise et de « mort naturelle raisonnablement prévisible » de la législation canadienne à respecter pour recevoir l’aide médicale à mourir.
Il y a des groupes de pression actifs, très actifs, dans le Canada anglais pour revenir en arrière
En gros, les personnes aptes à consentir aux soins qui sont atteintes d’une maladie grave, incurable et qui éprouvent des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables ne pouvant être apaisées dans des conditions qu’elles jugent tolérables pourront obtenir l’aide médicale à mourir dès le 12 mars prochain, et ce, même si elles ne sont pas en fin de vie, prévoit le jugement Gladu-Truchon.
Fin janvier, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, a annoncé à la presse que le critère québécois selon lequel une personne doit être en « fin de vie » pour obtenir l’aide médicale à mourir demeurera inscrit dans la loi québécoise, mais sera « inopérant » à compter du 12 mars prochain. Le hic, le critère fédéral de « mort naturelle raisonnablement prévisible » demeurera, lui, vraisemblablement opérant. « La loi [fédérale] reste comme elle est présentement au moins pour quatre mois », résume M. Ménard se désolant qu’Ottawa n’ait pas emboîté le pas à Québec.
Autrement dit, « théoriquement », le médecin pourra donner l’aide médicale à mourir à une personne qui n’est pas en fin de vie « selon la loi provinciale », mais pas à une personne dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible « selon la loi fédérale ». « Par contre, en pratique, c’est Québec qui dépose les poursuites. C’est le procureur général du Québec qui dépose des poursuites à des contrevenants à la loi fédérale », souligne à gros traits Jean-Pierre Ménard.
En décembre 2015, la procureure générale du Québec, Stéphanie Vallée, a transmis à la DPCP une « orientation vis[ant] à permettre aux personnes en fin de vie de recevoir des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie par l’accès à l’aide médicale à mourir » malgré des débats judiciaires entre Ottawa et Québec. « Nous comprenons que certaines personnes, en particulier les membres de la communauté médicale, puissent s’inquiéter de possibles poursuites criminelles si les dispositions de la Loi sont appliquées », avait dit Mme Vallée à l’époque.
M. Ménard craint de voir le fédéral « pasteuriser le droit québécois pour trouver une nouvelle forme de compromis pour satisfaire le Canada anglais ». « Il y a des groupes de pression actifs, très actifs, dans le Canada anglais pour venir en arrière », souligne-t-il au Devoir.