La loi sur la gouvernance scolaire frustre les villes

Les villes du Québec dénoncent un amendement de dernière minute apporté par le gouvernement Legault au projet de loi sur la gouvernance scolaire, adopté sous bâillon dans la nuit de vendredi à samedi, qui les oblige à céder gratuitement les terrains pour construire les nouvelles écoles.
Cet ajout en catimini, sans aucune consultation publique, a fait bondir les municipalités. Le gouvernement accorde à des gestionnaires non élus le pouvoir d’intervenir dans le champ fiscal des municipalités, a souligné Suzanne Roy, présidente intérimaire de l’UMQ et mairesse de Sainte-Julie.
« Je m’explique mal pourquoi on est allés avec cette façon de faire, qui fait que tout le monde se braque », a renchéri la mairesse de Montréal, Valérie Plante, lors d’un échange avec des journalistes.
« C’est dommage, parce que l’éducation, tout le monde y tient. Tant mieux si on trouve des arrangements. C’est pour ça qu’il faut discuter, parce que, pour l’instant, étant donné que l’éducation est une responsabilité du provincial, en imposant par exemple de donner un terrain qui appartient à la Ville, on dit aux Montréalais : “maintenant vous allez, à travers les taxes municipales, payer pour l’éducation”. Il faut quand même qu’on réfléchisse, surtout qu’à Montréal, les terrains coûtent vraiment plus cher », a ajouté la mairesse Plante.
Les municipalités s’en sont fait passer une petite vite. Elles viennent de le réaliser. On le réalise avec elles et, pour moi, c’est seulement le début
L’adoption du projet de loi 40 sous bâillon et en pleine nuit, au cours du week-end, a donné lieu à une série d’amendements imprévus. Cette loi de 312 articles et 97 amendements est tellement complexe que, deux jours après son adoption, lundi, les partis d’opposition et les syndicats peinaient à en dégager une vue d’ensemble.
Deux amendements majeurs déposés à la dernière minute retenaient l’attention. Les villes sont ainsi obligées de donner un terrain aux centres de services scolaires pour construire de nouvelles écoles. Et l’élimination des conseils scolaires élus au suffrage universel a été décrétée sur-le-champ plutôt qu’à la fin du mois de février, comme cela était prévu à l’origine.
Préparer la transition
Le choc a été brutal dans les commissions scolaires. Les élus scolaires se sont réveillés sans emploi — ils gardent un rôle de « conseillers » avec salaire jusqu’au 30 juin. Les élus scolaires seront remplacés par un conseil d’administration formé de 15 représentants bénévoles : cinq représentants du personnel scolaire, cinq membres de la communauté et cinq membres de comités de parents.
Ces administrateurs n’ont pas le droit de s’exprimer publiquement. Ils sont tenus à un devoir de réserve. Le porte-parole de chaque « centre de services de scolaires » est désormais le directeur général. Au premier jour de la nouvelle gouvernance scolaire, il a été impossible de parler au directeur général du plus grand centre de services scolaires du Québec, celui de Montréal.
« Pour l’instant, toute notre énergie est consacrée à assurer la réussite de la transition », a dit Alain Perron, responsable des communications du Centre de services scolaires (CSS) de Montréal.
Le directeur général du CSS de Montréal, Robert Gendron, doit rencontrer mercredi soir les gestionnaires scolaires et les directions d’écoles pour planifier les services pour l’année 2020. Il faut notamment organiser la nomination des 15 administrateurs bénévoles, dont la première tâche sera immense : adopter un budget de plus de 1,1 milliard de dollars pour 17 000 employés et 113 000 élèves.
On dit aux Montréalais : “maintenant vous allez, à travers les taxes municipales, payer pour l’éducation”
« Je pense qu’il faut être efficace. Ça fait longtemps qu’on doit changer de mode de gouvernance, ça fait longtemps qu’on doit s’assurer de construire nos écoles, les agrandir, et la mécanique actuelle ne fonctionnait pas. Il faut avoir le courage de changer les choses quand elles sont inacceptables », a dit le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, à l’animateur Patrick Masbourian, à la radio de Radio-Canada.
« À notre arrivée au gouvernement, nous apprenions que plusieurs élèves risquaient de ne pas avoir de place dans une école, ce qui obligeait notamment certaines commissions scolaires à recourir à l’installation temporaire d’unités modulaires, a précisé le ministre en fin de journée. Devant l’augmentation significative de la demande d’espace, nous avons pris l’engagement de répondre aux besoins en infrastructures scolaires. Avec le projet de loi sur la gouvernance scolaire, les projets d’agrandissement ou de construction d’établissements d’enseignement seront grandement facilités et ne devraient plus avoir de retard en lien avec la disponibilité des terrains. »
« Une petite vite »
« Je trouve ça extrêmement grave, a dénoncé la députée péquiste Véronique Hivon. Non seulement le gouvernement a “bulldozé”, il a bâillonné, mais il a carrément caché les choses au processus parlementaire. Quelle espèce de conception de la démocratie cela reflète-t-il du gouvernement? »
« Ça ne respecte pas l’autonomie des villes », a constaté la députée libérale Marwah Rizqy. À son avis, le gouvernement aurait pu choisir de discuter avec les conseils municipaux pour trouver des terrains pour de nouvelles écoles. Elle se demande si cet amendement soumis en fin de soirée vendredi, alors que les débats parlementaires étaient limités à cause du bâillon, ne vise pas à faire payer aux municipalités l’agrandissement des écoles pour les maternelles 4 ans, dont les coûts dépassent les prévisions.
Pour le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, il s’agit d’une nouvelle erreur d’un gouvernement qui est dans la précipitation. « Les municipalités s’en sont fait passer une petite vite, a-t-il déploré. Elles viennent de le réaliser. On le réalise avec elles et, pour moi, c’est seulement le début. »
Il y voit le modus operandi d’un gouvernement « qui impose ses politiques » et « qui élimine les contre-pouvoirs ». « C’est ce qu’ils ont fait avec le projet de loi 40 en congédiant au milieu de la nuit les élus scolaires pour se protéger de procédures judiciaires », a-t-il remarqué.
Les syndicats fâchés
La méthode dure du gouvernement n’est pas de bon augure pour les négociations en vue de renouveler le contrat de travail des enseignants, préviennent les syndicats. La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) envisage de contester la constitutionnalité de la loi devant les tribunaux, tandis que la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) aurait souhaité plus de temps pour débattre du projet.
Josée Scalabrini, présidente de la FSE, se réjouit néanmoins de deux amendements apportés à la loi : les professeurs restent maîtres des notes attribuées aux élèves, et ils pourront choisir le type de formation qui leur convient.