La CSEM renonce au financement fédéral pour contester la loi sur la laïcité

La CSEM demeure néanmoins «déterminée de mener jusqu’au bout» sa bataille juridique contre la «Loi 21».
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne La CSEM demeure néanmoins «déterminée de mener jusqu’au bout» sa bataille juridique contre la «Loi 21».

La Commission scolaire English-Montréal (CSEM) renonce à toute aide financière du gouvernement fédéral pour mener sa bataille devant les tribunaux contre la loi sur la laïcité de l’État québécois.

« À la lumière du climat politique actuel, il n’était pas dans l’intérêt de la communauté anglophone d’accepter des fonds du Programme de contestation judiciaire », a dit le porte-parole de la CSEM, Michael J. Cohen, dans un échange téléphonique avec Le Devoir jeudi. La Coalition avenir Québec, à Québec, et le Bloc québécois, à Ottawa, ont tous deux instauré un « climat politique » néfaste à l’utilisation d’argent public provenant d’Ottawa par la CSEM, a-t-il déploré.

En plus de lui avoir promis 125 000 $ pour contester « la loi 21 », le Programme de contestation judiciaire (PCJ) lui avait mis de côté 125 000 $ pour attaquer devant les tribunaux la loi sur l’instruction publique, qui permet au ministre de l’Éducation d’« ordonner que la propriété d’un immeuble appartenant à une commission scolaire soit transférée à une autre commission scolaire ».

Jeudi, la CSEM a repoussé l’aide financière du PCJ. Cela dit, elle n’abandonnera ni sa contestation de la loi sur la laïcité de l’État québécois ni sa contestation de la loi sur l’instruction publique québécoise, a spécifié M. Cohen. Elle puisera les sommes nécessaires à même son budget de fonctionnement. « Nous avons l’argent dans notre budget. Le gouvernement veut que nous utilisions seulement l’argent provincial », a ajouté le porte-parole, ajoutant du même souffle que la CSEM demeure « déterminée à mener jusqu’au bout » ces deux batailles juridiques.

À la lumière du climat politique actuel, il n’était pas dans l’intérêt de la communauté anglophone d’accepter des fonds du Programme de contestation judiciaire

Le ministre Simon Jolin-Barrette a dit ne pouvoir forcer la CSEM à plier l’échine. « La Commission scolaire English-Montréal relève du ministère de l’Éducation. Je ne peux pas l’empêcher de poursuivre le gouvernement du Québec actuellement », a-t-il affirmé dans une mêlée de presse.

Selon M. Jolin-Barrette, il reste qu’« il est tout à fait inopportun que la Commission scolaire English-Montréal poursuive le gouvernement québécois en lien avec la loi sur la laïcité », qui interdit le port de signes religieux chez les agents de la paix, les procureurs, les juges ainsi que les enseignants et les directeurs des écoles primaires et secondaires publiques.

Par ailleurs, l’élu caquiste a demandé au premier ministre canadien, Justin Trudeau, de « ne pas financer des recours à l’encontre des lois qui ont été validement adoptées » au nom du principe de « respect de l’Assemblée nationale ». « La laïcité, c’est une affaire québécoise », a-t-il affirmé.

La Coalition avenir Québec et Québec solidaire ont tous deux appuyé un projet de motion du Parti québécois selon lequel « l’Assemblée nationale dénonce le financement fédéral, octroyé via le Programme de contestation judiciaire, du recours devant les tribunaux pour invalider la loi sur la laïcité de l’État, adoptée légitimement par ses membres » — mais pas le Parti libéral du Québec.

À la Chambre des communes, le Bloc québécois a demandé jeudi au gouvernement Trudeau de « laisse[r] les Québécois tranquilles ». « Ce n’est pas parce qu’on est en désaccord qu’on est moins Québécois », a rétorqué le leader parlementaire du gouvernement, Pablo Rodriguez.

Une « insulte »

La nation québécoise prend comme une « insulte » l’octroi de fonds du Programme de contestation judiciaire aux tentatives d’invalidation de la loi sur la laïcité de l’État québécois, a fait valoir le premier ministre québécois, François Legault, jeudi avant-midi.

Se disant « choqué », il pressait son homologue fédéral, Justin Trudeau, d’annuler le financement public de la contestation de la loi 21, qui a été entreprise par la Commission scolaire English-Montréal. « Je pense que Justin Trudeau insulte les Québécois en finançant un recours contre cette loi qui interdit les signes religieux, qui est appuyée par une majorité de Québécois », a-t-il ajouté.

C’est un programme indépendant qui n’est aucunement géré par le fédéral. C’est une décision indépendante

Le chef du gouvernement fédéral, Justin Trudeau, s’est dissocié de la décision du « comité d’experts indépendant » du Programme de contestation judiciaire sans toutefois la dénoncer. « Nous respectons l’indépendance des institutions indépendantes. C’est un programme indépendant qui n’est aucunement géré par le fédéral. C’est une décision indépendante », a-t-il soutenu dans un impromptu de presse.

« M. Trudeau ne peut pas se cacher derrière un programme indépendant », a fait valoir M. Legault à Québec.

Le Programme de contestation judiciaire (PCJ) constitue la « pierre angulaire [de l’]engagement [du gouvernement Trudeau] envers un Canada diversifié, juste et inclusif ». Il vise à « fournir un appui financier aux individus et groupes au Canada pour qu’ils présentent devant les tribunaux des causes d’importance nationale liées à certains droits constitutionnels et quasi constitutionnels en matière de langues officielles et de droits de la personne », peut-on lire sur le site Web du PCJ.

Sous tutelle, mais…

La CSEM est placée sous tutelle. Elle garde cependant le pouvoir d’intenter des actions judiciaires. « C’était la décision de M. Roberge de mettre notre commission scolaire en tutelle, mais il a laissé au conseil la possibilité de mener des affaires juridiques, a rappelé M. Cohen. Nous avons ce pouvoir. Nous avons le budget. »

Le candidat à la direction du Parti québécois Frédéric Bastien accuse la Commission scolaire English-Montréal d’avoir violé la loi sur le ministère du Conseil exécutif qui, selon lui, l’empêche de bénéficier des fonds fédéraux pour contester des lois québécoises. « Sauf dans la mesure expressément prévue par la loi, un organisme municipal ou un organisme scolaire ne peut, sans l’autorisation du gouvernement, conclure une entente avec un autre gouvernement au Canada, l’un de ses ministères ou organismes gouvernementaux, ou avec un organisme public fédéral », stipule l’article 3.11 de la loi sur le ministère du MCE.

La CSEM soutient détenir le droit de « pouvoir conclure des ententes avec des tiers, dont le gouvernement du Canada », en vertu du pouvoir de gestion et de contrôle de son réseau scolaire, qui lui est conféré par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

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