30 millions pour créer de nouveaux milieux humides

«Il s’agit de redonner à la nature ses fonctions initiales. De créer des zones tampons de rétention d’eau. C’est primordial pour tous les problèmes d’inondations qu’on vit en ce moment», explique Daniel Bergeron.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir «Il s’agit de redonner à la nature ses fonctions initiales. De créer des zones tampons de rétention d’eau. C’est primordial pour tous les problèmes d’inondations qu’on vit en ce moment», explique Daniel Bergeron.

Pour freiner la destruction des milieux humides sur le territoire, le gouvernement financera pour 30 millions de dollars en projets visant à en restaurer ou à en créer de nouveaux. Un chantier d’une très grande envergure qui doit s’étaler sur des années.

Selon ce qu’a appris Le Devoir, le ministère doit lancer mardi un appel de propositions à l’intention des municipalités, communautés autochtones, organismes de conservations et firmes de consultants, entre autres.

Ils sont invités à soumettre d’ici au printemps des projets de création ou de restauration de milieux humides sur les terrains qu’ils possèdent. Les projets sélectionnés seront ensuite financés.

Près de trois ans après l’adoption de Loi sur les milieux humides, c’est une étape majeure, selon Bernard Fillion, directeur de Canards Illimités, un organisme environnemental spécialisé dans le domaine. « C’est une bonne loi, mais il faut la faire vivre maintenant, dit-il. On a eu beaucoup de pertes dans la Vallée du Saint-Laurent, il va falloir la rebâtir, cette vallée-là. »

Si tu fais un jardin d’eau dans ta cour, tu vas avoir des quenouilles qui vont pousser dedans. Mais est-ce un milieu humide fonctionnel ?

 

Rappelons que les 30 millions qui financeront le programme ne proviennent pas de la poche de l’ensemble des contribuables, mais des compensations versées depuis 2017 par les promoteurs et agriculteurs qui ont détruit des milieux humides.

La semaine dernière, Le Devoir révélait que le ministère de l’Environnement avait récolté plus de 47 millions de dollars de cette façon en deux ans et demi, dont près de 10 millions seulement dans l’agglomération de Québec.

Les milieux humides sont des marais, des marécages ou des tourbières. Leur valeur découle du fait qu’ils jouent un rôle de filtre contre la pollution en provenance des eaux souterraines et de surface et réduisent les risques d’inondation.

Comment créer un milieu humide ?

Pour être admissibles, les projets vont devoir cibler des terrains dans les MRC ou villes qui ont subi des pertes de milieux humides ces dernières années.

 

Comment s’y prend-on pour créer un milieu humide ? Où est-il possible de le faire ? Un peu partout, même à proximité de secteurs résidentiels, explique Daniel Bergeron, biologiste et fondateur de la firme Aqua Berge. Il suffit d’avoir une source d’eau naturelle : « Ce qui peut être extrêmement intéressant, c’est de récupérer les fossés de drainage qui vont faire de la rétention pour s’assurer que l’eau reste plus longtemps, fait-il remarquer. Il s’agit de redonner à la nature ses fonctions initiales. De créer des zones tampons de rétention d’eau. C’est primordial pour tous les problèmes d’inondations qu’on vit en ce moment. »

Mais attention, ajoute Louise Gratton, de Nature Québec : la réussite des projets se mesurera à long terme. « Ça va prendre un programme de suivi, avance-t-elle. Ça va prendre des sous pour qu’il y ait une reddition de comptes après 5 ou 10 ans. Parce que c’est seulement après 10 ou 15 ans qu’on sait si c’est redevenu un habitat faunique, si ça remplit les fonctions écologiques que ça avait, etc. »

Les milieux humides peuvent notamment être abîmés par des espèces envahissantes, comme des phragmites (des sortes de roseaux), signale la présidente du conseil d’administration de Nature Québec. « Si tu fais un jardin d’eau dans ta cour, tu vas avoir des quenouilles qui vont pousser dedans. Mais est-ce un milieu humide fonctionnel ? C’est une autre histoire. »

D’après M. Bergeron, en investissant plus dans les projets dès le départ (avec plus de plantes et des arbres matures, par exemple), on augmente les chances que les fonctions écologiques soient rétablies plus tôt.

« On peut créer des milieux humides à moindre coût, mais ça va prendre plus de temps avant qu’ils recouvrent toutes leurs fonctions », poursuit-il.

Bref, si les experts consultés s’entendent sur les bienfaits de la démarche, ils affirment tous que le défi s’annonce grand. Bernard Fillion craint notamment pour la difficulté de trouver de bons terrains. « On est tous stationnés dans la vallée du Saint-Laurent, et il n’y a pas beaucoup d’espace pour faire de grandes récupérations », observe-t-il.

Avant l’adoption de la Loi, son organisme avait plaidé pour qu’on crée les milieux humides en fonction des milieux qui en ont le plus besoin. Or le programme qui doit être lancé cette semaine vise à subventionner des projets dans les régions qui ont subi des pertes ces dernières années, et pour lesquelles des compensations ont été versées. « C’est certain que ça va être difficile. À Montréal, les compensations sont élevées, mais les sites pour faire de bons projets de restauration sont très rares ou très dispendieux. Nous, on recommandait d’aller où il y a des besoins. Dans la région de la rivière Yamaska, par exemple, il y a eu beaucoup de pertes et il y a donc beaucoup de travail à faire. C’est là qu’il faudrait aller restaurer et faire des gains plus grands alors qu’à Longueuil, les terrains sont plus rares et plus convoités », dit-il.

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