Peu d’élus caquistes ont suivi la formation sur le harcèlement

Plus d’un an après l’assermentation du gouvernement Legault, la majorité des députés caquistes n’ont pas trouvé le temps de suivre la formation obligatoire pour prévenir le harcèlement, créée dans la foulée du mouvement #MoiAussi. Cela inclut le premier ministre, François Legault, et tous les membres de son conseil des ministres à l’exception de la ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest.
« Je vous rappelle qu’on était un gouvernement qui n’avait jamais gouverné », a justifié le whip de la Coalition avenir Québec (CAQ), Éric Lefebvre, en entrevue au Devoir. L’une des responsabilités est de s’assurer que les députés assistent à cet atelier de deux heures. « On avait un conseil des ministres à mettre en place, a-t-il ajouté. J’avais des dizaines et des dizaines de députés qui avaient des bureaux de circonscription à ouvrir, alors c’était déjà beaucoup de travail à faire pour eux. »
Il est difficile de savoir avec exactitude combien d’élus, en tout, ont participé aux deux séances qui avaient été offertes en décembre 2018 et en mars 2019 puisque les chiffres fournis par l’Assemblée nationale et ceux fournis par les partis ne concordent pas. Selon le rapport annuel des activités de prévention et de traitement du harcèlement au travail, « environ 55 députés » sur 125 ont suivi la formation. Des chiffres colligés par les organisateurs qui ont « coché les noms des députés présents », selon la conseillère en communication de l’Assemblée nationale, Julie Champagne. Or, la compilation effectuée par Le Devoir à partir des chiffres fournis par les quatre partis, montre qu’en tout 68 députés y auraient assisté, soit 29 (sur 75) de la CAQ, 26 (sur 28) du Parti libéral, 8 (sur 10) de Québec solidaire et 4 (sur 9) du Parti québécois. Le député indépendant Guy Ouellette a confirmé sa présence, alors que sa voisine de siège Catherine Fournier n’a pas encore renouvelé sa formation. Elle en avait déjà suivi une lors de la législature précédente.
On va espérer qu’en trois ou quatre sessions, on réussira à former tout le monde
Au moment où ces lignes étaient écrites, personne n’était en mesure d’expliquer la différence entre ces deux données. C’est donc un peu moins de la moitié (44 %) ou un peu plus de la moitié (54,4 %) des 125 élus qui ont assisté à l’un des ateliers, selon le chiffre retenu. Est-ce un signe que la formation n’est pas prise suffisamment au sérieux ? « Ce n’est pas ça que je suis prête à lire », a affirmé la députée libérale, Maryse Gaudreault, qui préside le « Comité zéro harcèlement à l’Assnat ». « Après un an, ça sous-entend qu’ils ont eu plusieurs occasions pour le faire, mais ce n’est pas le cas. On va espérer qu’en trois ou quatre sessions, on réussira à former tout le monde. »
« Ce qu’on avait dit aussi à l’époque, c’est qu’il allait y avoir un deuxième tour, a signalé le whip du Parti québécois, Harold LeBel, qui fait partie du même comité. Il y en a qui ont préféré attendre, mais tout le monde va s’inscrire au prochain. »
« C’est un peu la folie dans le Parlement, a-t-il ajouté en faisant allusion aux horaires de travail parlementaire. Ce n’est pas facile de réunir tout le monde pour donner ces formations-là. »
« Il faudrait qu’il y en ait systématiquement au moins deux par session », a suggéré la whip des solidaires, Ruba Ghazal, en entrevue.
Une autre séance est en préparation pour février, mais aucun échéancier n’est prévu pour s’assurer que tous les députés puissent la suivre et puissent ainsi reconnaître les situations de harcèlement, les éviter ou réagir s’ils en sont témoins ou que quelqu’un leur rapporte un incident.
Pas de passe-droit
« C’est une formation pour leur donner des notions de ce que c’est du harcèlement psychologique, ou autre, et aussi de leur faire valoir le fait qu’ils sont des employeurs et qu’ils doivent aussi s’assurer que l’environnement de travail dans lequel ils évoluent et que leur personnel politique évolue soit exempt de toute forme de harcèlement », a expliqué Maryse Gaudreault. L’atelier donné par des experts comprend une portion théorique et des mises en situation. Il n’y a pas de passe-droit. Tous les députés, y compris ceux qui ont déjà suivi une formation similaire lors de la législature précédente, doivent y participer.
Interrogés par Le Devoir, plusieurs ministres ont indiqué qu’ils allaient assister au prochain atelier. « Je n’ai pas à vous répondre pourquoi, a affirmé la ministre Marguerite Blais lorsque Le Devoir lui a demandé une explication sur son absence aux deux séances précédentes. Il y a des formations qui s’en viennent. »
« J’en ai suivi et j’en ai donné des formations sur le harcèlement », a indiqué le ministre Jean Boulet, qui pratiquait le droit du travail avant de se lancer en politique, tout en reconnaissant qu’il allait devoir suivre la formation obligatoire de l’Assemblée nationale.
Le whip de la CAQ promet d’en faire une priorité pour l’année 2020. « C’est une question très importante, il n’y a aucune tolérance de ce côté-là, a-t-il souligné. C’est une question de respect et d’intégrité. Tous les députés ont le devoir de suivre cette formation-là. »
La formation contre le harcèlement fait partie des lignes directrices publiées mercredi par l’Union interparlementaire (UIP), un organisme international qui regroupe 179 parlements, pour éliminer le sexisme et le harcèlement dans le monde politique. L’UIP recommande également de créer un comité multipartite et égalitaire, comme le « Comité zéro harcèlement à l’Assnat », et la mise sur pied d’un mécanisme de traitement des plaintes indépendant.