Catherine Dorion, ou l’art de la controverse

Parce qu’elle s’habille comme ci, ou pas comme ça ; parce qu’elle a une voiture ; parce qu’elle a le verbe coloré. Peu importe ce qu’elle dit, fait ou porte, Catherine Dorion semble engendrer des controverses. À juste titre, ou y a-t-il ici une part d’acharnement contre une politicienne qui ne rentre pas dans la case ? Regards croisés sur le phénomène Dorion.
En matière de bouleversement des codes établis pour un député, Amir Khadir n’a pas manqué de panache : il a lancé un soulier dans une manifestation, a été arrêté dans une autre, a traité très officiellement l’ex-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec de lâche… Et c’est bien à lui que Françoise David pense lorsqu’elle voit l’agitation autour de Catherine Dorion.
« À certains égards, il se passe avec elle ce qui s’est passé avec Amir », dit l’ancienne députée et co-porte-parole solidaire. « Il y a assurément chez elle cette idée de remettre en question la norme et les règles du jeu », ajoute Thierry Giasson, chercheur principal au Groupe de recherche en communication politique.
« On peut mettre en doute le jugement, le doigté ou le sens politique, ajoute-t-il. Mais ce que je vois [chez ce genre de politicien], c’est des gens qui perçoivent les règles différemment et qui en jouent différemment. »
Françoise David n’en revenait pas cette semaine de voir les réactions à la photo d’Halloween de Catherine Dorion — qui s’est déguisée en « députée qui a de la classe » pour poser assise sur le pupitre central du Salon rouge. « Je dis : ce n’était certainement pas la meilleure décision au monde, et fin de l’histoire », dit Mme David.
Il y a assurément chez elle cette idée de remettre en question la norme et les règles du jeu
Mais peut-être parce qu’il s’agissait de la députée Dorion, l’histoire n’en est évidemment pas restée là. Le Parti libéral du Québec a déposé une plainte auprès du commissaire à l’éthique et à la déontologie, y voyant une atteinte à l’institution de l’Assemblée nationale et à la dignité de la fonction de députée. Vive réaction de Catherine Dorion en retour : « Quand on a été dans le parti qui a crissé le Québec à terre puis à genoux », a-t-elle dit, c’est « vraiment culotté » de lui reprocher un « problème d’éthique parce qu’elle s’est assise sur un bureau ».
Basée sur une ancienne controverse (les tenues de Mme Dorion à l’Assemblée nationale), la nouvelle polémique en a aussi engendré une autre : Denise Bombardier a écrit dans Le Journal de Montréal une chronique où elle décrivait « Mademoiselle Dorion » comme une « égérie sulfureuse de la gauche » qui n’hésite pas à « jouer une fille de joie ». « Ça revient à dire une pute », relève Françoise David, interloquée par cette charge.
Comme Khadir ?
L’épisode s’ajoute à une liste passablement longue de controverses plus ou moins vives, aux origines variées : le port d’un coton ouaté, le ton d’un podcast, l’achat d’une voiture, des démêlés avec des radios de Québec, une photo de son aisselle… « Tout ce qui touche Catherine Dorion devient radioactif », soutenait cette semaine l’animateur Sylvain Bouchard, du FM93.
Retraitée de la politique, Mme David observe de loin les remous que provoque Mme Dorion à Québec depuis un an. Et tout en soulignant des « différences profondes » entre les deux cas, elle se rappelle qu’Amir Khadir avait lui aussi le don de susciter des réactions contrastées.
« Je n’ai jamais su au fond s’il faisait exprès pour être provocateur, ou si c’était sa façon d’être, mais il a fait beaucoup parler de lui » après avoir été élu, dit-elle en entretien. « L’histoire du soulier lancé [contre une photo de George W. Bush en 2009], ça a quand même duré trois semaines dans les médias », ajoute-t-elle.
« Amir a dénoncé la corruption sur tous les toits, en allant à la limite de ce qu’il pouvait faire sans risquer des poursuites, relève son ex-collègue. Il prenait de vrais risques. »
Contenant, contenu
Françoise David dit avoir souvent éprouvé une « admiration sans bornes » pour les audaces d’Amir Khadir, sa manière de dire les choses. Mais il y a aussi eu des mises au point à faire entre les deux leaders de Québec solidaire au fil des ans. « La plupart du temps, j’étais d’accord, mais je lui ai dit parfois : “Tu prends trop de risques, et les gens sont rendus à discuter de la manière de faire, davantage que des sujets que tu veux soulever.” »
C’est un peu ce que l’animateur Bouchard (dans l’émission duquel la députée a brièvement collaboré en début d’année) disait de Catherine Dorion cette semaine. « Je pense qu’elle est en train de l’échapper, que ça nuit à son message. […] On ne l’entend plus, on fait juste voir le spectacle. »
Françoise David ne se prononce pas là-dessus. Mais elle ne croit pas que Catherine Dorion provoque pour provoquer, encore moins qu’elle brasse du vide. « J’ai écouté sa déclaration sur le troisième lien, donne-t-elle en exemple [Mme Dorion comparait essentiellement la dépendance à la voiture à celle induite par la cocaïne]. Sincèrement, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. L’image est très bonne à mon sens. »
Mme David cite aussi cette fois où Catherine Dorion s’est levée en Chambre vêtue d’un chandail du poète Patrice Desbiens. « On a juste parlé du chandail, mais il faut entendre ce qu’elle dit dans cette réplique au discours inaugural de François Legault. Elle parle de la culture comme d’un antidote à la solitude. Les phrases étaient magnifiques. C’est une femme de contenu, qui écrit bien et dit des choses franchement sensées », estime-t-elle.
« Mais à partir du moment où il y a eu la controverse sur les vêtements, pour certaines personnes, c’est comme si elle ne pouvait plus rien dire ou rien faire sans que les passions se déchaînent. Je trouve ça un peu excessif. »
Selon Thierry Giasson, Catherine Dorion suscite ces réactions parce qu’elle est « difficile à placer dans une case par rapport à l’ensemble des types de politiciens qu’on a pu connaître. Dans ses façons de faire, son rapport au pouvoir, elle a une attitude frondeuse qu’elle revendique ».
Les habitudes parlementaires donnent aussi une résonance particulière aux actes de Catherine Dorion, estime Françoise David. « C’est une institution lourde et conservatrice dans ses méthodes et ses rituels. Que de nouveaux députés aient envie de secouer les puces… C’est une institution qui est appelée à changer : ce qui paraît invraisemblable aujourd’hui ne le sera plus demain. Un moment donné, les gens vont arrêter de faire une crise cardiaque si quelqu’un n’a pas de cravate. »