La traduction «dynamique» pourrait ralentir le début du test des valeurs québécoises

Le ministre Simon Jolin-Barrette avait promis que les candidats à l’immigration pourront remplir l’évaluation de la connaissance des valeurs québécoises, non seulement en français, mais également dans d’autres langues répandues.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le ministre Simon Jolin-Barrette avait promis que les candidats à l’immigration pourront remplir l’évaluation de la connaissance des valeurs québécoises, non seulement en français, mais également dans d’autres langues répandues.

Le ministère de l’Immigration est incapable de garantir des « traductions dynamiques » du test des valeurs québécoises à temps pour le 1er janvier prochain.

Le ministre Simon Jolin-Barrette avait pourtant promis la semaine dernière que les candidats à l’immigration pourront remplir l’évaluation de la connaissance des valeurs québécoises, non seulement en français, mais également dans d’autres langues répandues. « Ce que nous prévoyons, c’est d’avoir une traduction dynamique en fonction des différents pays de provenance des personnes. Dans le fond, annuellement, nous accueillons des gens qui ont une langue dans majoritairement cinq, six langues », avait-il affirmé il y a une semaine. « La majorité des immigrants parlent ces langues-là, que ce soit le français, l’anglais, le mandarin, l’espagnol. »

Rappelons que la réussite du test des valeurs québécoises sera l’une des conditions à l’obtention du Certificat de sélection du Québec (CSQ) à compter de l’année 2020.

Le hic : à moins de deux mois de l’entrée en vigueur du test en ligne, aucun contrat n’a été octroyé, aucun mandat n’a été donné afin de procéder à la « traduction dynamique » de l’évaluation en ligne, qui renfermera « du contenu informatif de 60 minutes, puis [du] contenu évaluatif de 30 minutes avec 20 questions ».

Qui plus est, le ministère n’a toujours pas déterminé dans quelles langues exactement le questionnaire à choix multiples ou de type vrai ou faux sera offert. Des « traductions [seront] disponibles notamment en anglais, en espagnol et en mandarin » ― les trois langues qui ont été évoquées par M. Jolin-Barrette la semaine dernière ―, s’est contenté d’indiquer le porte-parole du ministère, Benjamin Bourque, mardi soir.

« Traduction dynamique »?

Des fonctionnaires s’affairaient toujours mardi à décoder ce que le ministre entend par « traduction dynamique ». À la question « Qu’est-ce qu’une « traduction dynamique » ? », le ministère a répondu par le silence.

« Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un ici qui puisse vous répondre », lance une chargée de projets d’une grande agence de traduction de Montréal contactée par Le Devoir.

En gros, un candidat à l’immigration « pourr[a] avoir une traduction qui accompagne la version officielle », avait dit simplement M. Jolin-Barrette la semaine dernière.

« Si c’est ça, c’est non seulement la traduction qui doit être faite, mais toute la programmation Web », ajoute du tac au tac l’employée de la firme de traduction privée, qui n’a pas la langue dans sa poche.

Chantal Gagnon, professeure au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, n’a pour sa part « jamais, jamais » entendu l’expression « traduction dynamique » auparavant. « Ça n’existe pas. J’aurais envie de vous dire : c’est une invention de politicien. Une « traduction dynamique », je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire », mentionne-t-elle au Devoir.

J’aurais envie de vous dire : [la «traduction dynamique»], c’est une invention de politicien

Même réponse à l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) où l’expression « n’est pas courante ».

Opération délicate

 

Par ailleurs, la professeure Gagnon juge le délai imparti pour produire les « traductions dynamiques » — moins de deux mois — « court ». « Moins il y a de temps, plus il y a un risque pour la qualité », souligne-t-elle. « [Sinon], je n’entrevois pas de difficultés énormes, mais tout expose des difficultés : des difficultés culturelles, des difficultés linguistiques, même dans certains cas, des difficultés idéologiques. Mais le professionnel de la traduction est en mesure de faire face à ces difficultés », ajoute-t-elle.

Selon son confrère François Lareau, « on est dans un domaine où le choix des mots va être très important, la formulation va être très importante ». Ça a des conséquences importantes, juridiques », fait-il valoir.

Selon l’OTTIAQ, « le test des valeurs [sera] préjudiciable sur le plan moral s’il est mal traduit ». « Ce que le traducteur doit garder en tête, c’est de ne pas trahir le sens que Québec donne aux valeurs québécoises. Donc, il faut absolument que ce soit rendu d’une façon fidèle et non biaisée par rapport au texte d’origine », soutient la directrice générale de l’ordre, Diane Cousineau. « Il faut vraiment conserver les valeurs québécoises. Ça, c’est un traducteur agréé qui va vous le garantir », ajoute la traductrice agréée.

La facture grimpera

 

En plus d’affecter deux de ses ressources, le ministère a octroyé un contrat d’« environ 140 000 dollars à des experts », pour « développer l’évaluation », avait indiqué M. Jolin-Barrette la semaine. Il avait cependant omis de mentionner que le gouvernement devra aussi payer des frais de traduction.

Le ministère de l’Immigration dit « met [tre] tout en oeuvre pour que les traductions soient disponibles le plus tôt possible ». « Le ministère possède déjà des contrats ouverts avec différents fournisseurs pour assurer les services de traduction. Ainsi, le coût définitif de la traduction sera connu à l’issue de cette opération », a précisé M. Bourque mardi soir.

« Quand on fait une traduction de ce genre-là, on met deux traducteurs dessus : un qui fait la traduction et un deuxième qui repasse derrière pour s’assurer que rien n’a été oublié et que tout a été traduit correctement », explique la chargée de projet de l’agence de traduction de Montréal, avant d’ajouter : « C’est quand même onéreux. »

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